Comment Mohammed VI, « Commandeur des croyants », a fait de l’islam marocain un levier d’influence en Afrique
Au Maroc, la religion n’est pas cantonnée à la sphère privée ou à la pratique spirituelle individuelle. Depuis plus de deux décennies, elle constitue également un pilier central de la politique étrangère du Royaume, un instrument de projection d’influence, notamment en Afrique subsaharienne. À la tête de cette stratégie , le Roi Mohammed VI, « Amir Al Mouminine », Commandeur des croyants, une fonction à la fois religieuse et politique, héritée d’une légitimité chérifienne historique.
Une vision religieuse à vocation régionale
Depuis son accession au trône en 1999, le souverain marocain a œuvré à refonder l’approche religieuse du pays, instaurant un islam modéré, enraciné dans le rite malékite, la doctrine acharite et le soufisme. Cette trilogie doctrinale est aujourd’hui le cœur battant de ce que Rabat promeut comme « l’islam du juste milieu », en rupture claire avec les formes extrêmes ou politisées de la religion.
Loin de se limiter à une réforme interne, Mohammed VI a rapidement compris que ce modèle pouvait être exporté comme un produit de stabilité, dans un contexte africain où la montée de l’extrémisme religieux et le déficit de formation des cadres religieux posent des défis majeurs à plusieurs États.
Le rôle clé des institutions religieuses
La création de l’Institut Mohammed VI pour la formation des imams, des morchidines et morchidates en 2015 à Rabat symbolise cette ambition transnationale. Des centaines de futurs cadres religieux y sont formés chaque année, venus non seulement du Maroc, mais aussi du Mali, du Sénégal, du Niger, du Nigeria, de la Côte d’Ivoire et même de France. L’objectif : former un clergé musulman africain selon les valeurs d’un islam tolérant, apaisé et enraciné culturellement.
En parallèle, le Conseil supérieur des oulémas et les conseils régionaux ont été renforcés pour encadrer le champ religieux, alors que la Fondation Mohammed VI des Ouléma Africains, créée en 2015, sert de passerelle entre Rabat et les élites religieuses africaines. Des antennes de cette fondation ont été ouvertes dans une trentaine de pays du continent.
Un soufisme enraciné, un réseau mobilisé
Cette stratégie ne serait pas aussi efficace sans l’ancrage historique du soufisme marocain en Afrique de l’Ouest. Depuis des siècles, des confréries marocaines, notamment la Tijaniyya et la Qadiriyya, entretiennent des liens spirituels étroits avec des villes comme Tombouctou, Dakar ou Kano. Le roi, en tant que Commandeur des croyants, s’inscrit dans cette continuité, entre tradition et autorité spirituelle.
À l’occasion de visites officielles, Mohammed VI n’hésite pas à effectuer des gestes hautement symboliques : prier dans une mosquée historique au Mali, inaugurer un institut islamique à Fès pour des étudiants ivoiriens, ou recevoir des leaders religieux africains dans le cadre d’accords bilatéraux. Ces actions renforcent une diplomatie religieuse fondée sur la proximité, la reconnaissance et l’influence douce.
Une diplomatie religieuse aux résultats concrets
Loin d’être un simple affichage, cette stratégie a généré des bénéfices politiques et géostratégiques tangibles. Elle a permis au Maroc de renforcer sa présence en Afrique de l’Ouest et d’y asseoir son image de partenaire stable, modéré et fiable. Elle accompagne également les projets économiques du Royaume sur le continent – dans les secteurs bancaires, agricoles et énergétiques – en consolidant une relation de confiance.
Par ailleurs, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation, plusieurs pays africains considèrent le modèle marocain comme une référence. L’appui religieux s’ajoute ainsi à la coopération sécuritaire et militaire, renforçant une approche globale de la stabilité régionale.
Entre foi, stratégie et légitimité
En construisant cette architecture religieuse transnationale, Mohammed VI a habilement conjugué l’autorité spirituelle à la vision diplomatique, sans tomber dans la politisation excessive du fait religieux. Son rôle en tant que Commandeur des croyants lui confère une légitimité difficile à contester, y compris au-delà des frontières marocaines.
Loin d’être un outil passif, l’islam marocain est ainsi devenu un levier structuré de soft power, incarnant une diplomatie d’influence ancrée dans l’histoire, modernisée par les institutions, et étendue par la foi partagée.