États-Unis : Vers une requalification stratégique du Polisario ? Un projet de loi remet en question la neutralité américaine
Washington, 27 juin 2025 – Un nouveau chapitre s’ouvre dans la perception américaine du conflit du Sahara occidental. Le dépôt au Congrès américain d’un projet de loi visant à classer le Front Polisario parmi les organisations terroristes étrangères marque une rupture potentielle avec la prudence diplomatique jusque-là adoptée par Washington sur ce dossier.
L’initiative, portée par le républicain Joe Wilson et appuyée par le démocrate Jimmy Panetta, transcende les lignes partisanes dans un rare élan bipartite. Elle reflète un changement de ton radical dans les cercles politiques américains à l’égard du mouvement séparatiste sahraoui. Loin d’un simple geste symbolique, ce projet de loi pourrait à terme repositionner la politique étrangère américaine dans la région maghrébine.
Le Polisario au cœur d’un débat sécuritaire globalisé
Dans sa déclaration publique, Joe Wilson décrit le Polisario comme une « milice d’inspiration marxiste » bénéficiant du soutien logistique et idéologique de puissances rivales des États-Unis , l’Iran, le Hezbollah et la Russie. Une triade stratégique que le représentant associe à une volonté explicite de déstabilisation régionale, avec le Maghreb comme nouveau front d’influence géopolitique.
Ce narratif s’inscrit dans une grille de lecture sécuritaire élargie, où les mouvements séparatistes sont désormais examinés sous le prisme de leur éventuelle instrumentalisation par des États hostiles à l’ordre international libéral. Le Sahara occidental, longtemps perçu comme une question post-coloniale figée, entre ainsi dans les radars de la lutte contre les influences transnationales perçues comme déstabilisatrices.
Un tournant sous surveillance dans les relations algéro-américaines
Bien que la proposition n’engage pas encore l’administration Biden, elle constitue un signal d’alarme pour Alger, soutien indéfectible du Polisario. Si la désignation devait être entérinée, ses implications seraient considérables , gels d’avoirs, restrictions financières, isolement diplomatique accru et restrictions sur les contacts officiels avec toute entité liée au Front.
Cette dynamique pourrait également redéfinir les rapports algéro-américains, déjà fragilisés par la multiplication des partenariats énergétiques entre Washington et Rabat. En s’alignant de plus en plus ouvertement sur le Maroc, les États-Unis pourraient accentuer l’isolement stratégique d’Alger, surtout à un moment où celui-ci cherche à renforcer ses alliances économiques pour faire face à une conjoncture interne tendue.
Un écho grandissant chez les stratèges américains
La proposition Wilson-Panetta ne surgit pas dans un vide idéologique. Depuis plusieurs mois, des cercles de réflexion influents à Washington – tels que l’Heritage Foundation ou le Hudson Institute – publient des analyses alertant sur les risques de porosité sécuritaire dans les camps de réfugiés sahraouis de Tindouf. Ces rapports évoquent des cas de recrutement, de trafic transfrontalier et d’opérations logistiques suspectes, sans toutefois apporter de preuves irréfutables.
Pour ces think tanks, le Sahara occidental ne peut plus être traité comme un conflit périphérique. Il devient, au contraire, un maillon d’une chaîne de vulnérabilités exploitables par des puissances comme l’Iran ou la Russie dans leur compétition globale avec les démocraties occidentales.
Le Maroc conforté, l’axe algéro-iranien sous pression
La rhétorique adoptée par Joe Wilson renforce, indirectement, la position du Maroc sur la scène diplomatique. Rabat bénéficie déjà d’un soutien croissant à l’égard de son plan d’autonomie pour le Sahara, notamment en Afrique, en Europe et dans les États du Golfe. L’appel explicite au partenariat stratégique américano-marocain, évoqué par Wilson comme un lien « historique », pourrait figer davantage les positions dans un sens défavorable au Polisario.
Pour Alger, le moment est délicat. Les accusations d’alignement croissant avec Téhéran, combinées aux tensions persistantes avec ses voisins et à la défiance de certains partenaires européens, rendent l’environnement diplomatique de plus en plus complexe.
Un débat ouvert, mais aux conséquences lourdes
Même si le projet de loi américain n’aboutit pas immédiatement à une désignation formelle du Polisario comme organisation terroriste, il ouvre un débat structurant sur la nature réelle du mouvement, ses alliances internationales et son rôle dans les dynamiques sécuritaires régionales. La simple existence de cette initiative législative pourrait suffire à changer le regard de nombreux acteurs sur un conflit souvent relégué en arrière-plan.
À terme, ce repositionnement américain pourrait rebattre les cartes d’un dossier saharien longtemps marqué par l’immobilisme. Reste à savoir si cette offensive politico-législative s’inscrira dans une stratégie cohérente ou si elle constituera un épisode isolé d’un Congrès en quête d’initiatives à forte visibilité.