Ambassade à usage privé : quand M. l’Ambassadeur du Maroc à Bruxelles redéfinit la diplomatie… façon “Club Select”
Majdi Fatima Zahra
Dans la grande galerie des paradoxes diplomatiques marocains, l’ambassade du Royaume à Bruxelles s’est taillé une place de choix. On pourrait la confondre avec un bureau ministériel délocalisé à l’européenne, version Rabat-Salé, où toute tentative de rencontrer Son Excellence Mohamed Ameur relève du parcours du combattant… marocain.
Vous voulez un rendez-vous avec l’ambassadeur ? Il vous faudra d’abord passer par une escale mentale à l’Agdal, faire tamponner vos intentions à Hay Riad, puis réciter quelques vers de l’hymne royal dans le bon ordre… et encore.
Et pourtant, la Belgique compte plus de 640 associations marocaines actives, dynamiques, engagées. Mais qu’est-ce que cela pèse dans la balance d’un ambassadeur ? Rien. Sauf si vous avez l’heur d’être approuvé, coopté, voire bénit par la grâce occulte de ce qu’on appelle désormais le “cercle restreint de Son Excellence”, ou mieux encore, si vous avez un pied dans cette fameuse association belge “Les Amis du Maroc”, fondée en 2019 sous l’aile protectrice de l’ambassade et généreusement nourrie par l’argent public marocain. Résultat , une structure grassement financée, d’une discrétion abyssale, et d’une utilité publique… toujours en gestation.
Un rendez-vous avec l’ambassadeur ? Appelez Rabat.
Pendant ce temps, des dizaines d’associations belgo-marocaines se démènent chaque jour dans l’éducation, l’intégration, la lutte contre la précarité. Mais pour elles, aucune ligne directe avec leur propre ambassade. C’est comme vouloir téléphoner à Jupiter.
Car obtenir un entretien avec M. Ameur exige d’abord de franchir les cercles concentriques du pouvoir invisible. En revanche, dès qu’il s’agit de l’Association “Les Amis du Maroc”, c’est tapis rouge, parking réservé, et thé à la menthe inclus. Les fonctionnaires de l’ambassade ? Transformés en staff événementiel de luxe , montage de chaises, service de petits-fours, sourires calibrés pour les photos — la diplomatie au service… du buffet.
Des réceptions parfumées, mais sans âme
Chaque fête nationale est l’occasion de transformer le Palais Birmingham — siège de l’ambassade — en salle de réception 5 étoiles. Drapeaux bien repassés, encens à volonté, et traiteur marocain à la hauteur. Mais côté contenu ? Toujours les mêmes visages , quelques “amis étrangers”, les sempiternels “invités institutionnels”, et une poignée de figurants sans influence, sans rôle, mais manifestement très… disponibles.
Quant aux élus et acteurs marocains de poids en Belgique ? Invisibles. Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont ni membres du MR (Mouvement Réformateur), ni figurants dans les albums photo de l’ambassadeur. Certains y voient un agenda politique ; d’autres y flairent le népotisme diplomatique. En tout cas, la question devient légitime , l’ambassade représente-t-elle un pays, ou un parti ?
Mais qui paie le loyer de l’ASBL les amis du Maroc ?
Une autre question taraude les esprits (et les contribuables) , qui paie les loyers du bureau de l’Association “Les Amis du Maroc” ? Certains avancent un chiffre dépassant 1 400 € par mois, pour un local dont les activités publiques sont aussi fréquentes que les éclipses lunaires.
Pas de site internet actif, pas de bilan annuel, pas d’actions notables en faveur de la cause nationale ni auprès des institutions européennes. À croire que cette association est une fiction administrative montée pour justifier un budget. Tout juste y trouve-t-on des photos de cocktails et de poignées de mains chaleureuses. Pendant ce temps, la défense du dossier du Sahara et les intérêts du Maroc en Europe peuvent bien attendre.
Des Marocains de Belgique… blacklistés chez eux
Le comble de l’absurde ? L’ambassade semble appliquer une politique de tri sélectif entre Marocains. Les personnalités issues de partis comme le PS, Ecolo ou même le PTB, connues pour leur influence locale et leur ancrage communautaire, sont régulièrement mises à l’écart. Pas de carton d’invitation, pas de reconnaissance, pas même un petit email.
Pendant ce temps, certains membres du MR ont droit aux premières loges. Faut-il en conclure que M. l’Ambassadeur s’est reconverti en coordinateur de coalition pour la droite libérale belge ? Ou que la diplomatie est devenue une affaire d’affinités partisanes ?
Ce que le Roi a demandé… et ce que l’ambassade fait
Ce décalage criant entre la vision royale — qui appelle au rapprochement avec la diaspora et à sa mobilisation pour défendre les intérêts du Maroc — et la réalité de terrain, est tout simplement consternant. Loin de construire des ponts, la diplomatie de Mohamed Ameur érige des murs invisibles.
Plutôt que de fédérer les compétences, elle classe les profils. Plutôt que de valoriser la richesse de la communauté marocaine, elle réduit ses interactions à un club restreint de visages familiers. La performance diplomatique semble se mesurer au nombre de bouquets de fleurs offerts, et non aux batailles menées sur le front européen.
Ambassade sur commande… mais pour qui ?
Une ambassade qui ne reconnaît qu’une seule association — fondée sous son toit, financée par ses soins, et applaudie par ses propres employés — tout en ignorant l’ensemble du tissu associatif marocain de Belgique, ne peut prétendre servir l’intérêt général.
On assiste là à une forme de diplomatie parallèle, déconnectée de la réalité, plus soucieuse du protocole que de la patrie, plus affairée à l’apparence qu’à l’influence.
Et si, en fin de compte, l’ambassade s’était transformée en service traiteur pour association privée ?
Et si le Maroc, dans un moment d’inattention, avait envoyé un ambassadeur pour tout… sauf pour sa diaspora ?