Ambassadeurs à vie ? Quand certaines représentations freinent l’élan de la diplomatie marocaine
Bouchaib El Bazi
Le cas emblématique de l’ambassade du Maroc en Belgique : entre inertie diplomatique et silence ministériel
Depuis que Nasser Bourita a pris les rênes du ministère des Affaires étrangères, la diplomatie marocaine a connu une mutation profonde, marquée par la professionnalisation, l’anticipation stratégique et un recentrage clair sur les intérêts souverains du Royaume. Un tournant applaudi par de nombreux observateurs, tant la rupture avec l’ancienne logique de quotas partisans semblait nécessaire.
Mais cette nouvelle dynamique, impulsée depuis Rabat, peine à se refléter dans certaines ambassades, où des figures installées depuis de longues années continuent d’occuper des postes sans réelle évaluation de leur efficacité, ni alignement sur les orientations actuelles. Le cas de l’ambassade du Maroc en Belgique cristallise parfaitement ce décalage.
Mohamed Ameur à Bruxelles : neuf années d’ambassade sans remise en question
Nommé en 2016, Mohamed Ameur, ancien dirigeant de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), est à la tête de l’ambassade marocaine à Bruxelles depuis neuf ans. Une longévité rare, pour ne pas dire inédite, dans les annales de la diplomatie marocaine contemporaine. Huit années pendant lesquelles le Maroc a profondément revu sa posture diplomatique, mais où l’ambassade à Bruxelles semble figée dans un mode de gestion dépassé, loin de la réactivité et de la fermeté que requièrent les dossiers européens.
La Belgique, rappelons-le, n’est pas une affectation secondaire , elle abrite les institutions européennes, accueille une des plus grandes diasporas marocaines en Europe et représente un terrain sensible en matière de lobbying, de coopération sécuritaire, et de batailles narratives autour du Sahara marocain. Que cette mission stratégique n’ait pas été revue ou redynamisée depuis 2016 interroge.
Témoignage fictif d’un universitaire marocain à Bruxelles
« Ce n’est pas une question de personne, mais de cohérence , comment comprendre que le Maroc change de cap, réforme sa diplomatie, multiplie les initiatives à l’échelle internationale… alors que certaines ambassades restent figées dans le temps ? Il est temps que les représentations suivent le rythme de la diplomatie centrale. »
Héritage partisan ou inertie institutionnelle ?
La nomination de Mohamed Ameur s’inscrivait à l’époque dans une logique de répartition des postes entre anciens responsables politiques. Une pratique aujourd’hui en déclin, mais dont les effets résiduels continuent de peser sur certaines missions diplomatiques. Car si la présence d’anciens élus ou ministres à la tête de missions peut s’expliquer par des compétences transversales, elle ne doit pas se transformer en “retraite dorée” à l’étranger.
L’approche actuelle de Bourita rompt justement avec ce paradigme , l’ambassadeur est désormais un agent d’État, non un homme de parti. Il doit incarner la ligne diplomatique du Royaume, non des intérêts personnels ou politiques passés.
Quand Rabat avance, certaines ambassades stagnent
Le ministère des Affaires étrangères a déjà opéré plusieurs changements notables dans son corps diplomatique, en Afrique comme en Europe de l’Est. Des signaux clairs envoyés à l’appareil diplomatique , il n’y aura plus de “postes à vie”. Pourtant, dans des ambassades clés comme Bruxelles, aucune relève ne semble envisagée.
Ce décalage entre le centre de décision et certaines représentations affaiblit la cohérence du message marocain, notamment dans les batailles médiatiques et juridiques autour du Sahara, ou face aux pressions migratoires et sécuritaires croissantes.
Point de vue – L’avis d’un ancien diplomate (fictif)
« Le problème, ce n’est pas la personne, c’est le symbole. Une ambassade qui reste figée pendant huit ans dans un pays aussi stratégique que la Belgique, c’est comme un navire au port alors que la mer est en pleine tempête. On ne peut pas défendre une diplomatie moderne avec des méthodes d’une autre époque. »
Vers une diplomatie du mérite et du mouvement
Le Maroc d’aujourd’hui, en pleine affirmation géopolitique, a besoin d’une diplomatie du mouvement, de l’audace et de l’innovation. Une diplomatie capable de parler aux jeunes générations issues de la diaspora, de défendre la cause nationale dans les arènes hostiles, et de capter les nouvelles opportunités économiques et culturelles.
Cela passe nécessairement par un renouvellement du personnel diplomatique, non par défiance, mais par logique de performance. Un ambassadeur doit être évalué, ses résultats mesurés, et son maintien justifié. Autrement, on bascule dans la routine, voire la déconnexion.
Il est temps de mettre fin à l’exception bruxelloise. Non par hostilité personnelle, mais par respect pour l’institution diplomatique. La continuité de l’État n’exclut pas le changement des visages. Et si la diplomatie marocaine veut garder sa crédibilité, elle doit être alignée du centre aux antennes, de Rabat à Bruxelles.
L’heure n’est plus aux ambassadeurs à vie, mais aux diplomates de conviction, mobiles, efficaces et entièrement alignés sur la ligne du Royaume.