Il fallait bien une note de tragédie grecque pour clore une année scolaire à Schaerbeek. Cette fois, ce ne sont ni les résultats PISA ni les grèves syndicales qui ont fait la une, mais… deux jeunes filles mises à l’écart comme des pestiférées lors de la remise officielle des diplômes. Leur crime ? N’avoir pas respecté le dress code du néo-humanisme à la belge , être sobres, neutres et surtout “non identifiables ethniquement”. Une sorte de camouflage idéologique du vivre-ensemble , on ne doit plus vivre ensemble, mais se ressembler. Même chemise, même morale, même fadeur.
C’est ainsi que nos deux héroïnes du jour, diplômées avec les honneurs, ont été privées de cérémonie publique pour cause de “tenue non conforme”. À ce niveau de zèle, même les agents de la STIB en restent bouche bée. On croyait l’époque des exclusions vestimentaires révolue, mais il faut croire que la neutralité belge est une religion avec ses prêtres, ses rituels… et ses excommunications.
Le protocole avant la pédagogie
Dans une école secondaire de Schaerbeek, commune souvent citée en exemple pour sa diversité, on pensait naïvement que la reconnaissance du mérite scolaire primerait sur le code vestimentaire. Mais non. À Schaerbeek, il semble qu’une étoffe de trop peut annuler un an de sueur, de révisions et d’efforts. L’ironie ? On y parle d’“école inclusive”, mais à condition de ne pas trop s’inclure dans la cérémonie.
Les deux jeunes filles, dont le seul tort est de ne pas avoir respecté la “ligne vestimentaire républicaine”, se sont vues reléguées dans une salle à part. Comme un plan vigipeste pour robe suspecte.
Félicitations, mesdemoiselles ! Vous avez décroché un diplôme ET une leçon de realpolitik belge.
République schizophrène , “Soyez vous-mêmes, mais sans excès !”
On nous dit que la Belgique est un modèle de tolérance, un pays où l’on peut manger hallal, porter un kilt, danser le sirtaki et parler le turc, le français ou l’arabe selon les heures. Mais au moment de monter sur scène pour un diplôme, il faut être belge version PowerPoint , fade, lisse, et neutre comme une photocopie A4.
Dès lors, on comprend mieux la gêne du personnel éducatif , ces jeunes filles, par leur simple présence, rappelaient que la République scolaire belge n’est pas aussi inclusive qu’elle l’imagine.
Et comme on ne peut pas biffer une note de bulletin, on raye les corps. Symboliquement. Poliment. Administrativement.
“Tant que vous n’êtes pas comme tout le monde, vous dérangez”
Ce que cette affaire révèle, au fond, c’est une phobie bien belge , la peur de la différence visible. On la tolère tant qu’elle reste dans les quartiers, les bus, les discours. Mais pas dans les cérémonies officielles. Là, il faut des visages neutres, des noms passe-partout, et des robes comme celles de la Reine Mathilde.
Et tant pis si ces jeunes filles représentent l’excellence scolaire, le dépassement de soi et le triomphe social, puisque leur tenue dérange, elles seront invisibilisées. On ne voudrait pas que la neutralité soit contaminée par un soupçon d’identité.
À quand un manuel scolaire intitulé , “Comment réussir dans un système qui veut de vous… sans vraiment de VOUS” ?