À Schaerbeek, la neutralité a un voile… et il faut l’ôter pour mériter son diplôme
Par Bouchaib El Bazi
C’est une histoire belge, mais à la sauce républicaine dure , à Schaerbeek, deux élèves musulmanes voilées ont brillamment terminé leurs études secondaires, mais n’ont pas eu droit à leur moment de gloire sur scène. Le motif ? Un fichu foulard. Ou plutôt, un « signe convictionnel », comme on dit quand on veut faire sérieux, neutre, et surtout… absurde.
La scène se passe lors de la proclamation des diplômés de 6e secondaire. Les deux jeunes filles se sont présentées, fières et méritantes, prêtes à savourer l’aboutissement de douze années de scolarité. Mais la République des règlements d’ordre intérieur — version Schaerbeek — les attendait au tournant , « Pas de voile sur le podium ! » La neutralité, voyez-vous, c’est important. Surtout quand elle permet d’humilier poliment des adolescentes devant leurs camarades, leurs familles et l’Histoire.
Neutralité à géométrie variable
Le plus savoureux dans cette tragédie burlesque, c’est l’explication officielle. L’école n’a fait que suivre « le règlement voté par le conseil communal ». On imagine bien la scène , une salle de réunion, un PowerPoint, des élus très neutres (souvent très blancs), et au fond de la salle, une urne pleine de principes vides. La neutralité, décrètent-ils, commence à l’entrée de l’école et s’étend jusqu’aux gradins du gymnase où l’on remet les diplômes. Il ne faudrait surtout pas qu’un foulard interfère avec le décorum laïque de la République communale.
Mais ce n’est pas du racisme, voyons. C’est du règlement.
C’est la magie administrative , si c’est écrit noir sur blanc, alors ce n’est plus une violence, c’est une procédure. On ne discrimine pas, on applique. On n’humilie pas, on exécute le règlement. Et on le fait avec ce petit sourire crispé qui dit , « Ce n’est pas personnel, c’est pour tous les signes. » Sauf qu’étrangement, ce sont toujours les mêmes têtes que cela frappe.
Un moment de fête ? Non, un test de conformité.
Imaginez un instant , votre enfant finit l’école, la famille est rassemblée, les résultats sont excellents, l’avenir s’ouvre… et on vous dit , « Félicitations, mais restez assises au fond, votre foulard est une entorse à notre neutralité. » Ce n’est plus une école, c’est un concours de respectabilité. Et ici, la neutralité n’est pas une valeur commune — c’est une douane identitaire.
Quand le foulard devient plus visible que l’intelligence
À Schaerbeek, ce ne sont pas deux élèves qui ont été exclues d’un rite de passage. C’est toute une génération qui comprend que ses réussites sont conditionnelles. Le message est limpide , peu importe ton mérite, tes efforts, ta réussite. Si tu portes un voile, tu es suspecte. Pas d’accès à la scène. La lumière est réservée à celles et ceux qui savent rester dans l’ombre des règlements.
Post-scriptum hypocrite
Le communiqué communal, pour ne pas faire trop sévère, se termine par une promesse , cela ne se reproduira plus. On sent l’élan de compassion, l’indignation calculée. Mais on garde le règlement, bien sûr. On ne va pas tout chambouler pour deux élèves. On va juste mieux le communiquer, peut-être, ou organiser une cérémonie alternative. Un genre de cérémonie parallèle pour les déviants de la neutralité — avec buffet halal, pourquoi pas.
A Schaerbeek, on honore les cerveaux… à condition qu’ils ne soient pas couverts.
Mais après tout, c’est peut-être ça, le progrès à la belge , un foulard de moins pour un diplôme de plus, et une neutralité toujours plus blanche que neige.