Algérie et Polisario : les vérités cachées des archives françaises

Par Bouchaib El Bazi

Contrairement à la narration officielle longtemps répétée par Alger, les archives diplomatiques françaises dévoilent une tout autre réalité : celle d’un régime algérien hésitant, fracturé, et souvent tenté de se désengager d’un conflit saharien qu’il a pourtant contribué à créer de toutes pièces. Derrière la façade monolithique, les documents exhumés révèlent les dissensions internes, les désillusions militaires et les reculs stratégiques qui ont marqué la position algérienne depuis les années 1970.

La naissance du Polisario, appuyée et structurée par le régime algérien, n’a jamais fait l’unanimité, même au sein du pouvoir à Alger. Des voix lucides, issues de l’appareil d’État et de l’élite intellectuelle, ont très tôt exprimé leur scepticisme quant à l’opportunité d’engager le pays dans un conflit potentiellement interminable, aux conséquences régionales imprévisibles. À l’international aussi, plusieurs capitales ont rejeté la légitimité d’un mouvement indépendantiste dont l’émergence répondait avant tout à une logique géopolitique algérienne.

Une note confidentielle de l’ambassade de France à Alger, datée du 26 mars 1976, éclaire ces tensions internes :

« Parmi les événements qui ont récemment retenu l’attention de l’opinion marocaine, on notera la crise interne du régime algérien, consécutive à l’appel de quatre personnalités politiques ، Abbas, Ben Khedda, Lahouel et Kheireddine. À cela s’ajoute le ralliement de figures comme Boudiaf, Sahraoui ou Béjaoui, ainsi que le refus de certains officiers de l’ANP de soutenir le Polisario. Cette situation nourrit à Rabat l’espoir d’une inflexion dans la posture algérienne. »

(Archives de La Courneuve, Maroc-Algérie, Sahara, 1976, boîte 943)

Un mouvement “créé de zéro” par Alger, selon Paris

Cette perception critique ne relève pas d’une simple conjecture , elle s’appuie sur une connaissance fine du dossier saharien, partagée par de nombreux diplomates étrangers. Une note du ministère français des Affaires étrangères, datée du 16 février 1978, ne laisse place à aucune ambiguïté :

« Le phénomène saharien, initié de toutes pièces par l’Algérie à la veille du retrait espagnol, a bénéficié d’un soutien sans faille sur les plans militaire et diplomatique. C’est cette prise en charge qui explique sa croissance rapide. »

L’ambassadeur de France en Algérie, Guy de Commines, enfonce le clou dans une autre dépêche consacrée à la stratégie de propagande du Polisario. Selon lui, le mouvement suit fidèlement les directives d’Alger, au point que toute concertation entre Européens sur le sujet devait se faire dans la plus grande discrétion :

« Lors de la réunion mensuelle des représentants des Neuf à Alger, nous avons unanimement recommandé à nos capitales de garder un secret absolu sur toute discussion relative au Sahara. Le Polisario, soutenu activement par l’Algérie, exploite la moindre brèche pour étendre sa visibilité internationale. »

Boumédiene et Benjedid : entre désengagement et double langage

Minée par les contradictions, la diplomatie algérienne s’est trouvée face à un dilemme , continuer à soutenir militairement et diplomatiquement le Polisario, tout en prétendant rester un acteur neutre. Malade et affaibli, le président Boumédiène s’est montré prêt à faire des concessions, à condition qu’elles soient négociées par une personnalité française de renom, mais extérieure au gouvernement.

Un document classé « secret » révèle les contours de cette ouverture inattendue :

« Le président Boumédiène a accepté d’explorer une solution honorable au différend avec le Maroc, allant jusqu’à envisager des concessions majeures sur le dossier du Sahara. »

Deux noms avaient été avancés comme médiateurs potentiels , Maurice Couve de Murville et Pierre Mendès France. Le lieu des négociations proposé ? Genève, symbole d’impartialité.

Sous la présidence de Chadli Benjedid, cette volonté de désescalade se confirme, du moins en apparence. Mais elle découle moins d’un désir sincère de paix que de l’impasse militaire. En septembre 1979, Benjedid laisse entendre qu’un règlement politique incluant l’intégration du Sahara au Maroc pourrait être acceptable… si le Polisario y consent. Un message transmis discrètement à l’ambassadeur de France à Rabat par le diplomate algérien Rachid Meslani :

« Tout règlement, y compris le maintien du Sahara dans les frontières marocaines, serait acceptable pour l’Algérie, si le Polisario l’approuve. »

(Archives de La Courneuve, avril 1979)

Mais cette parenthèse fut de courte durée. Le véritable pouvoir restait entre les mains d’une caste militaire implacable, héritière de l’appareil sécuritaire de Boumédiène. Pour ces généraux, la ligne dure sur le Sahara n’était pas une option mais une doctrine. Le discours conciliant de Chadli n’était qu’un écran de fumée face aux réalités du pouvoir profond.

Une crise perpétuée par l’armée dans l’ombre du politique

Dès les premières années du régime Benjedid, un dualisme structurel s’est imposé , une façade civile, présidée par un chef d’État aux prérogatives réduites, et une matrice sécuritaire opaque, détentrice du vrai pouvoir. La question saharienne, loin d’être une priorité géopolitique sincère, est devenue un levier d’influence, une rente stratégique entretenue par les services de renseignement.

Aujourd’hui encore, quarante ans plus tard, le soutien militaire, médiatique et diplomatique de l’Algérie au Polisario n’a pas faibli. Ce projet révolutionnaire est devenu un capital politique que les généraux n’ont pas l’intention d’abandonner. Et pourtant, les fissures d’hier continuent de résonner dans les couloirs silencieux du régime.

La vérité la plus troublante est peut-être celle-ci : le Sahara n’a jamais été le cœur du problème. Il n’était qu’un théâtre. La véritable bataille se jouait ailleurs, derrière les portes closes, dans les rivalités pour le contrôle du pouvoir algérien. Un pouvoir fragmenté, paranoïaque, qui se nourrit encore du conflit saharien pour mieux masquer ses divisions internes.

 

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