Le grand retour de Benkirane : entre prêche, punchlines et percussion politique
Hanane El Fatihi
Par un observateur mi-éberlué, mi-amusé
Abdelilah Benkirane a refait surface. Et – spoiler alert – il n’a pas changé d’un iota. Même ton moralisateur, même posture de prophète incompris, même bouillabaisse de populisme vintage. Le tout servi sans transition, entre deux cris de youyou et une citation coranique recyclée. Il ne revient pas avec un programme, encore moins une vision – non, ce serait trop demandé. Il revient avec sa recette maison , beaucoup de religion, un peu de théâtre, un soupçon de ressentiment personnel, et une montagne de contradictions. Bref, du Benkirane pur sucre.
L’homme interdit d’antenne… omniprésent
Premier acte de son grand retour , se plaindre d’être censuré. « Interdit de médias publics », dit-il, la voix étranglée d’émotion. Et pourtant, on le retrouve partout , en live Facebook, sur les chaînes YouTube de ses disciples, en version TikTok entre une recette de msemen et une vidéo de chat. Il est peut-être banni de la télé publique, mais il squatte le cloud avec une efficacité qu’aucun influenceur n’oserait contester. Le comble du génie politique à la Benkirane , se poser en martyr tout en saturant l’espace médiatique.
La vérité ? Ce n’est pas une tribune qu’il réclame, c’est un monopole. Et quand il ne peut pas passer par la grande porte, il entre par la story. À défaut de programme, il maîtrise parfaitement l’algorithme. Il ne gouverne plus le pays, mais il régit le feed. La « censure » est devenue stratégie, la victimisation, une marque déposée. Le tout en djellaba, naturellement.
Pour les filles : mariage ou rien
Côté femmes, pas de surprise non plus. Benkirane persiste et signe , l’émancipation commence – et finit – par un mariage. Oubliez les études, oubliez les carrières, le salut réside dans l’alliance halal, le plus tôt possible. « Tout devient possible après les noces », proclame-t-il avec l’assurance d’un conseiller matrimonial improvisé. À l’écouter, une femme seule avec un doctorat, c’est comme une Ferrari sans carburant. Une aberration.
Sauf que… surprise ! Sa propre fille a étudié, a fait carrière, et n’a visiblement pas été sommée de choisir entre la fac et le four. Chez Benkirane, la morale s’arrête à la porte du salon. Les principes, c’est pour les autres. Pour celles qu’il ne connaît pas. Celles qui doivent, selon lui, se ranger bien sagement dans la file indienne du mariage précoce. Car pour Benkirane, l’ambition féminine est un luxe inutile, presque suspect. L’égalité, c’est bon pour les conférences, pas pour les fiches de paie.
Gaza, Mawazine… et un bendir bien tempéré
Autre grand moment du show , sa sortie contre le festival Mawazine. Indigné, il tonne , « On ne danse pas pendant que Gaza souffre ! » Larmes à l’œil, mains au ciel, indignation XXL. Très bien. Sauf que… 24 heures plus tard, le même Benkirane est filmé à Agadir, canne au sol, mains en l’air, souriant comme un muezzin en vacances, en pleine danse d’Ahouach. Le bendir, hier diabolisé, devient soudain patrimoine sacré. Gaza ? Plus une seule mention. La morale benkiranienne fond comme du beurre au soleil du Souss.
C’est simple , sa boussole morale est équipée d’un gyroscope capricieux. Elle pointe vers le sérieux quand il est sur scène, et vers le folklore quand le bendir retentit. Une minute, il fustige le divertissement ; la suivante, il tape dans ses mains. La géopolitique façon Benkirane est une valse à trois temps , dénonciation, indignation, célébration.
Souss, Japon et autres raccourcis éclairés
Mais la palme revient à sa comparaison improbable , « Si tous les Marocains étaient comme les Soussis, on serait aussi développés que le Japon. » Rien que ça. Compliment maladroit pour les premiers, mépris voilé pour les seconds, et casse-tête géopolitique pour les troisièmes. On attend encore l’analyse macroéconomique de ce trait de génie. Faut-il troquer les yens pour des amandes ? Introduire l’Ahouach au G7 ? Mystère.
Car Benkirane, c’est aussi ça , des aphorismes approximatifs, lancés avec la confiance d’un académicien et la rigueur d’un sketch de Ramdam. À défaut de livrer un plan, il balance des maximes. Il n’est plus un chef de parti, il est devenu une sorte de philosophe de souk, moitié imam, moitié youtubeur.
Le spectacle continue
Depuis qu’il a quitté le gouvernement, il ne propose plus rien. Il distrait. Il fait du bruit. Il fait du Benkirane. Il recycle ses indignations, il scénarise ses rancunes, il joue à la victime tout en contrôlant le micro. Le chômage grimpe, l’école publique s’effondre ? Silence radio. Lui, il est occupé à chorégraphier son comeback. Il ne vise plus le pouvoir, mais la postérité digitale. C’est un one-man-show permanent. Une chaîne de télé ambulante. Une application vivante d’anecdotes politiques.
Le spectacle Benkirane tourne en boucle. Vous pouvez zapper, mais il reviendra, sous une autre forme. Un jour en mode prêcheur, le lendemain influenceur, toujours en roue libre. Et toujours avec ce fond sonore bien à lui , une indignation calibrée, un bendir pas loin, et une nostalgie tenace du temps où il signait des décrets.