Benkirane, Téhéran et les petits drapeaux : chronique d’une schizophrénie diplomatique
Par Bouchâib El Bazi
Au Maroc, la question de la normalisation avec Israël n’est plus un simple débat diplomatique. C’est devenu un test PCR idéologique : positif à Téhéran ? Vous êtes “résistant”. Négatif ? Vous êtes un “agent du sionisme”. Entre les deux ? Vous êtes probablement un ancien ministre à la retraite qui donne des conférences sur la Moudawana avec un keffieh mal repassé.
Dimanche dernier, à quelques mètres du théâtre Mohammed V, haut lieu de culture, de sociologie et de sièges rouges fatigués, un autre spectacle se jouait en extérieur : une poignée de militants islamistes, recyclés en gardiens de la morale géopolitique, manifestait contre la présence d’universitaires israéliens. Non pas des soldats. Non pas des espions. Des universitaires. C’est dire à quel point l’intellect effraie parfois plus que les tanks.
Pendant ce temps, à l’intérieur, les sociologues débattent de la mondialisation des affects et de la recomposition des identités. À l’extérieur, des slogans hérités de 1979 volent au vent comme des prospectus d’un autre âge.
#FreePalestineMaisPasTrop
#ThéorieDuComplotDiplomatique
Le grand écart de Benkirane
Abdelilah Benkirane, toujours fidèle à lui-même, a récemment pris la parole à Casablanca, lors d’un colloque sur la réforme du Code de la famille. Mais entre deux paragraphes sur la “fitna” des héritages et les dangers du féminisme casher, l’ancien chef de gouvernement a glissé une salve contre la normalisation.
L’homme qui avait reçu Jared Kushner en 2016 sans jamais mentionner la Palestine s’est soudainement transformé en porte-parole officieux du Hezbollah spirituel. Il y a des conversions silencieuses qu’on fait parfois entre une pastilla et une fatwa.
#CouragePolitiqueÉphémère
#RésistanceSansPortefeuille
Mais Benkirane n’est pas seul. Il est flanqué d’une frange du PJD en mode méta-cognition , “Oui, nous avons normalisé, mais c’était une erreur de timing, pas de conviction”. C’est un peu comme dire , “j’ai volé, mais uniquement parce que la porte était ouverte”. La souveraineté nationale devient ainsi un concept malléable, qui se plie selon l’horaire des prières et la position du croissant lunaire de Téhéran.
Souveraineté à géométrie islamiste
Le clivage est désormais clair , entre les islamistes “souverainistes”, qui défendent les choix de l’État même quand ils impliquent une ambassade à Tel-Aviv, et les “internationaux de la Oumma”, qui rêvent encore d’un califat depuis le salon marocain. Les premiers veulent sauver le parti, les seconds veulent sauver l’âme. Les deux veulent sauver leur carrière.
Ce qui frappe, ce n’est pas tant la défense de la cause palestinienne – cause juste et noble s’il en est – mais la récupération pavlovienne et la confusion des registres. Manifester contre des professeurs israéliens tout en postant des vidéos sur TikTok depuis un iPhone assemblé à Shenzhen , voilà la vraie synthèse islamo-numérique du XXIe siècle.
#SolidaritéSélective
#PalestineQuandÇaArrange
Un pays qui mérite mieux
Le Maroc n’a pas besoin de sermons à l’iranienne ni de nostalgie baathiste reconditionnée en discours électoral. Il a besoin de clarté, de cohérence et d’un débat adulte sur sa politique étrangère. Défendre la cause palestinienne ne devrait pas servir à masquer la crise existentielle d’un courant politique qui cherche encore sa boussole entre Doha et Qom.
Le plus grand service qu’on puisse rendre à la Palestine aujourd’hui, ce n’est pas d’empêcher un sociologue de parler à Rabat, mais de faire entendre la voix d’un Maroc libre, lucide, et capable d’articuler ses positions sans hashtags dictés depuis l’étranger.
#MarocDAbord
#CausePalestiniennePasMarchéÉlectoral