Algérie : des ministres sans ministère dans une république téléguidée

Majdi Fatima Zahra

En Algérie, être ministre n’a plus rien d’un poste de responsabilité. C’est désormais une fonction d’apparat, une illusion de pouvoir, une ligne sur un CV qu’on ne met même plus à jour. La dernière révélation du journaliste en exil Abdou Semmar, document à l’appui, lève le voile sur une vérité désarmante : toute décision gouvernementale – du plus haut au plus banal niveau – est confisquée par la présidence de la République. Oui, tout passe par le bureau du président Abdelmadjid Tebboune, devenu chef d’orchestre d’un orchestre muet.

La bombe a été larguée le 19 juin 2025, sous la forme d’une instruction administrative , un document signé du Premier ministre Nadir Larbaoui, envoyé à tous les ministres. Le message est limpide , plus question de nommer, de muter, de relever de ses fonctions, ou même de proposer une simple réorganisation interne sans l’autorisation explicite des “services compétents” de la Présidence.

En clair , un ministre algérien ne peut même pas déplacer une plante verte dans son bureau sans consulter El Mouradia.

Ministres en carton, pouvoir en papier mâché

La satire est cruelle mais juste , les ministres algériens sont devenus des agents d’exécution administrative, incapables de constituer leurs propres équipes, de proposer des réformes, ou même de respirer sans consulter un conseiller occulte. À quoi bon avoir un gouvernement si toutes les décisions se prennent ailleurs ? Pourquoi garder 35 ministres si le pays peut être géré par un fax présidentiel et deux tampons officiels ?

Dans sa vidéo, Abdou Semmar résume la situation avec une ironie chirurgicale :

“Nous avons 35 ministres en Algérie, mais nous pourrions les remplacer par des plantes artificielles sans que personne ne s’en aperçoive.”

Le modèle est kafkaïen. Chaque ministre est un figurant dans une pièce écrite par d’autres. La moindre proposition doit être accompagnée d’un rapport justificatif détaillé, soumis au bon vouloir du Château. Refuser d’attendre la validation ? Sacrilège bureaucratique. Bienvenue dans la république du soupçon, où toute prise d’initiative est une menace, et où l’immobilisme est devenu doctrine d’État.

Une présidence omnivore, une administration paralysée

Ce verrouillage total n’est pas seulement absurde, il est dangereux. Dans un pays en crise économique chronique, où chaque ministère devrait être un laboratoire de solutions, le centralisme paranoïaque de la Présidence agit comme un poison lent. Il transforme les ministères en dépôts de décisions différées, où le temps se dilue dans les couloirs en attendant un tampon.

Sous Bouteflika, le contrôle était fort, mais au moins les ministres pouvaient nommer un chef de cabinet. Sous Tebboune, même ça est devenu risqué. La méfiance est devenue doctrine, et la peur de “la trahison administrative” est plus forte que le besoin d’efficacité.

On veut gouverner avec des technocrates invisibles, sans responsabilités ni marges de manœuvre. Des ministres sans ministères. Des décisions sans décideurs. Une gestion sans gestionnaires.

Et pourtant, chaque jour, les communiqués officiels continuent de parler de “réformes structurelles”, de “feuilles de route”, et d’“ambitions stratégiques”, comme si quelqu’un au sommet croyait encore à sa propre fiction.

Mais à force de tout vouloir contrôler, le président finit par tout bloquer, y compris son propre gouvernement.

#AlgérieNouvelle_SystèmeTélécommandé

 

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