La Kabylie s’invite au Parlement européen : vers une reconnaissance diplomatique du droit à l’autodétermination ?
Majdi Fatima Zahra
Bruxelles amorce un virage prudent mais significatif dans sa politique vis-à-vis du régime algérien
Bruxelles, Selon des sources diplomatiques européennes proches du dossier, deux commissions internes du Parlement européen ont entamé des travaux exploratoires sur la question de l’indépendance de la Kabylie, région montagneuse du nord de l’Algérie à forte identité culturelle amazighe. Une évolution politique discrète mais significative, qui marque un tournant dans la relation entre l’Union européenne et Alger, traditionnellement fondée sur une coopération sécuritaire et énergétique.
Cette initiative parlementaire intervient dans un contexte de durcissement autoritaire en Algérie, où le régime du président Abdelmadjid Tebboune multiplie les arrestations arbitraires de journalistes, de militants et même de militaires suspectés de loyauté douteuse. « C’est un retour aux méthodes des années 1990, avec une sophistication technologique en plus », commente un diplomate scandinave basé à Bruxelles. Plusieurs chancelleries occidentales, y compris au sein de l’OTAN, s’inquiètent désormais de la stabilité interne du pays, et de la fiabilité de son exécutif.
Une question kabyle sortie du silence
La Kabylie, longtemps reléguée aux marges des débats internationaux, revient désormais sur le devant de la scène, portée par une dynamique nouvelle au sein de certains cercles régionalistes européens. Le Gouvernement Provisoire Kabyle (GPK), en exil à Paris et dirigé par Ferhat Mehenni, a multiplié depuis 2023 les contacts discrets avec des députés européens, des représentants américains et africains, ainsi que des experts onusiens. Son objectif : faire reconnaître la légitimité de sa revendication à l’autodétermination, dans le cadre des principes du droit international.
« Face à un régime sourd et oppressif, la Kabylie représente une voie pacifique de contestation face à un partenaire devenu peu fiable », affirme une source parlementaire européenne, sous couvert d’anonymat. Selon un conseiller politique d’un groupe influent au sein de l’hémicycle, un « signal clair » est en cours de préparation à destination d’Alger. L’UE, souligne-t-il, « n’a jamais hésité à utiliser la carte des minorités lorsque les droits fondamentaux sont bafoués. »
De la marginalisation à la reconnaissance ?
Pour Ferhat Mehenni, cette nouvelle donne diplomatique est un signe d’espoir. Contacté par nos soins, il déclare :
« Après des décennies de marginalisation, la voix kabyle commence enfin à être entendue dans les institutions européennes. Nous ne cherchons ni la violence ni le conflit. Nous réclamons le droit, légitime et pacifique, à l’autodétermination. »
Le GPK base sa légitimité sur le droit international, notamment l’article 1er de la Charte des Nations unies et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui reconnaissent aux peuples le droit de disposer d’eux-mêmes. Il se présente comme le représentant légitime d’un peuple autochtone nié dans son identité linguistique, culturelle et politique, et systématiquement réprimé dès qu’il exprime une divergence vis-à-vis du pouvoir central algérien.
Répression algérienne et carte géopolitique
Depuis 2021, les autorités algériennes ont inscrit le GPK sur leur liste d’organisations terroristes, une décision condamnée par plusieurs ONG internationales comme Amnesty International ou Human Rights Watch. Plusieurs dizaines de militants kabyles ont été arrêtés ou condamnés à de lourdes peines de prison pour « atteinte à l’unité nationale » – une accusation souvent utilisée pour étouffer les revendications identitaires ou politiques dans le pays.
« La question kabyle passe lentement mais sûrement du tabou diplomatique à la carte géopolitique », analyse un ancien diplomate français ayant servi à Bruxelles. Pour ce dernier, la patience européenne pourrait s’émousser face à l’absence de réformes démocratiques et aux violations récurrentes des droits humains en Algérie.
Premiers soutiens en Europe
D’après des sources sécuritaires, Ferhat Mehenni aurait reçu le soutien de plusieurs parlementaires européens, notamment en Italie, en Suède et en Allemagne, pays particulièrement sensibles aux questions des minorités culturelles et des peuples autochtones. Le débat reste toutefois cantonné à des cercles restreints, sans prise de position officielle de la Commission européenne à ce stade.
Mais le simple fait que la question soit aujourd’hui examinée dans les institutions européennes marque une rupture. À Bruxelles, certains observateurs y voient même un outil stratégique de pression sur Alger, notamment à l’heure où les négociations sur le partenariat énergétique UE-Algérie se heurtent à de profondes divergences.
Encadré : Le GPK en chiffres
- Année de création : 2010 (en exil à Paris)
- Dirigeant : Ferhat Mehenni
- Statut en Algérie : Organisation terroriste (depuis 2021)
- Nombre de militants poursuivis depuis 2021 : Plus de 60, selon les ONG
- Objectif : Indépendance de la Kabylie sur la base du droit à l’autodétermination
Un précédent pour d’autres minorités ?
Si l’Union européenne franchit le pas d’un soutien, même symbolique, au droit des Kabyles à disposer d’eux-mêmes, cela créerait un précédent géopolitique aux implications régionales importantes, notamment dans le Sahel, au Maroc (Rif), ou encore en Libye. Mais à Bruxelles, la logique des droits fondamentaux pourrait, une fois de plus, s’imposer à celle des équilibres diplomatiques.
À suivre.