Diplomatie 2.0 : Quand la loyauté se like et se partage

Aradane Majda

À Bruxelles, la diplomatie marocaine connaît une mue inattendue : elle ne passe plus par les chancelleries, les rapports, ni même les actions concrètes en faveur des Marocains de l’étranger. Non. Désormais, servir le Maroc c’est… faire des live TikTok et taguer Monsieur l’Ambassadeur avec un cœur rouge.

La récente cérémonie du Bayâa, moment fort de la symbolique monarchique, a vu émerger parmi les invités une figure inattendue : Najima El Arbaoui, influenceuse aussi discrète par le passé que prolifique depuis qu’elle a été miraculeusement propulsée en politique par nul autre que Fouad Ahidar, lors des dernières législatives belges. Son engagement pour la communauté ? Personne ne s’en souvient. Son passé militant ? Néant. Mais son contenu TikTok, lui, est bien vivant – et visiblement suffisant pour ouvrir les portes de la loyauté royale.

Le filtre de la préférence

Dans une diaspora marocaine en quête de reconnaissance, composée de centaines de personnes actives, engagées et souvent bénévoles au service du pays, le choix de l’Ambassadeur Mohamed Ameur, en poste depuis bientôt neuf ans, laisse perplexe. Pourquoi ces profils, inconnus des milieux associatifs et absents des combats pour la cause nationale, reçoivent-ils les invitations les plus prestigieuses ? Serait-ce qu’au royaume de la visibilité numérique, l’algorithme de la loyauté a changé ?

Ce favoritisme 2.0 soulève des interrogations bien réelles : selon quels critères l’Ambassade choisit-elle ses représentants ? Quelle vision diplomatique se cache derrière cette stratégie de communication verticale, où la loyauté se mesure aux likes et où les mérites se construisent à coups de filtres Instagram ?

Le silence embarrassé du Ministère

Au-delà du cas particulier, c’est le ministre des Affaires étrangères, M. Nasser Bourita, qui est interpellé. Comment expliquer que l’une des représentations les plus stratégiques du Royaume en Europe devienne un théâtre d’ambiguïtés ? L’affaire de l’Association des Amis du Maroc, pointée du doigt pour sa gestion opaque et ses dépenses peu utiles, est encore fraîche dans les esprits. Faut-il y voir une continuité dans le flou artistique, désormais transposé à la sphère des “influenceurs patriotes” ?

La question n’est pas de rejeter le rôle des réseaux sociaux dans la diplomatie moderne. Bien au contraire. Mais faut-il pour autant écarter ceux qui, toute l’année, défendent les intérêts du pays, accompagnent les familles en difficulté, organisent des actions culturelles, débattent dans les parlements, interpellent les institutions européennes ? Faut-il leur préférer celles et ceux qui savent simplement manier la ring light et le slogan vide ?

Morale de l’histoire : que la gélatine soit avec vous

À en croire cette nouvelle doctrine, il vaut mieux être “visible” que “utile”. L’image remplace l’engagement, la mise en scène prime sur la compétence. La loyauté se joue désormais en “story”, et les décorations symboliques se gagnent au rythme des “réels” montés sur fond musical patriotique.

Alors, chers Marocains du monde, prenez-en de la graine : laissez tomber les réunions associatives, les tribunes diplomatiques, les conférences sur la cause nationale. Devenez influenceur. Parlez d’amour, de drapeau, et surtout de l’Ambassadeur avec émotion. Qui sait ? Vous serez peut-être l’an prochain en première ligne du serment d’allégeance, téléphone à la main, filtre doré activé, avec en fond sonore : “Sidi Mohammed, mon roi, mon like, mon engagement”.

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