Titre : Main tendue et espoir retrouvé : le roi Mohammed VI relance l’idée d’un Maghreb uni
Bouchaib El Bazi
Il arrive que les discours changent le cours des choses, non pas par la force des mots, mais par la sagesse qui les porte. Le roi Mohammed VI, en célébrant le 26ème anniversaire de son accession au trône, n’a pas prononcé un discours diplomatique de circonstance. Il a livré une méditation politique empreinte de lucidité, un appel sincère à réveiller la conscience maghrébine endormie par des décennies de malentendus, de rancunes et de dogmes figés.
Sans détour ni fioriture, le souverain a qualifié de “regrettable” la situation actuelle entre le Maroc et l’Algérie. Il l’a dit avec la sobriété des grands chefs d’État : ce blocage nuit aux peuples, contredit les exigences du monde contemporain et hypothèque l’avenir commun. Et surtout, il a renouvelé – une fois encore – l’engagement du Maroc en faveur de la paix, du bon voisinage et d’une coopération à rebâtir sur des bases de respect mutuel.
Une constance royale face à l’immobilisme algérien
Depuis plusieurs années, le roi multiplie les gestes d’ouverture envers Alger. En 2018 déjà, il avait lancé un appel à un dialogue direct, sans conditions, pour remettre à flot les relations bilatérales. À l’époque, il avait parlé d’un “corps étranger” qui s’était inséré entre les deux peuples frères. Un langage fraternel, sans animosité, mais chargé de vérités douloureuses. La réponse algérienne ? Silence et fermeture.
Cette fois encore, l’appel est clair, documenté, et résonne comme une mise en garde contre l’irresponsabilité historique. La région maghrébine est assise sur un trésor géopolitique, humain et naturel. Pourtant, elle est le parent pauvre de l’intégration régionale, la lanterne rouge des unions économiques à travers le monde. Le commerce intra-maghrébin plafonne à moins de 5 % des échanges, contre 16 % en moyenne en Afrique. Le coût du non-Maghreb est estimé à plus de 10 milliards de dollars chaque année.
Quand la paranoïa géopolitique devient religion d’État
Pourquoi cette stagnation ? Une réponse crue mais inévitable : à Alger, le contentieux du Sahara occidental est devenu une obsession d’État. Poussée historiquement par l’ingérence idéologique du colonel Kadhafi – qui a reconnu en 1987 avoir créé le Front Polisario avec l’aide de combattants libyens et palestiniens – la politique algérienne s’est enfermée dans une logique d’hostilité systématique envers Rabat.
Or cette stratégie est désormais anachronique. Le monde a changé, les équilibres régionaux aussi. Le Sahara est marocain dans les faits, et dans les soutiens internationaux. Les voix qui persistent à s’y opposer s’isolent. Le roi, lui, parle d’avenir : de générations entières sacrifiées sur l’autel de querelles stériles, de la nécessité de tourner la page pour construire un avenir de prospérité partagée. Ce n’est pas une posture, c’est une responsabilité morale et stratégique.
L’Union du Maghreb arabe : une urgence existentielle
Ce que propose Mohammed VI n’est pas une utopie régionaliste. C’est une réponse concrète à la fragmentation d’un espace qui pourrait peser économiquement autant que l’Afrique du Sud ou les Émirats. D’après le FMI, l’union économique du Maghreb permettrait de créer un marché de près de 100 millions de consommateurs, avec un PIB agrégé de 360 milliards de dollars. Le potentiel est là. Le bon sens économique aussi. Ce qui manque ? Une volonté politique sincère.
Le roi en est convaincu : l’union maghrébine n’est pas un luxe idéologique, mais une nécessité face aux défis globaux – insécurité alimentaire, crise énergétique, stress hydrique, dérèglement climatique. Aucun pays de la région ne peut les affronter seul. Le roi l’a répété à Bagdad devant les dirigeants arabes : sans intégration maghrébine, point de développement durable ni de souveraineté collective.
L’ultime appel à la raison
En ces temps de glissement des repères géopolitiques, où les puissances reconfigurent leurs alliances à vitesse accélérée, le Maghreb ne peut se permettre le luxe de la division. Le Maroc tend la main. Il le fait depuis des années. Cette main restera tendue. Mais l’Histoire n’attendra pas indéfiniment.
La profondeur du discours royal n’est pas seulement dans son contenu. Elle est dans l’intuition qu’une fenêtre se referme. Le monde est en transition brutale. Et ceux qui refusent de bouger risquent d’être emportés par le courant. Il est encore temps d’agir. Mais pour combien de temps ?
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