Algérie, scène vide, rideau levé

Bouchaib El Bazi

Il fallait oser. Mais avec Abdelmadjid Tebboune, plus rien ne surprend. L’Algérie, ex-puissance régionale en mal de crédibilité, s’accroche à ses rideaux de velours rouge pour donner le change. À défaut de substance, on soigne la mise en scène. Des poignées de main sans lendemains, des accords gonflés à l’hélium et des confettis d’investissements fictifs : bienvenue dans le plus grand théâtre de l’absurde diplomatique au sud de la Méditerranée.

Une diplomatie du trompe-l’œil

Dimanche 3 août, scène surréaliste au Palais El Mouradia. Quatre ambassadeurs en fin de mission viennent dire au revoir à Tebboune. Rien que de très banal, ailleurs. Mais en Algérie, on y voit un moment d’Histoire, un sommet du multilatéralisme… ou plutôt un épisode de sitcom géopolitique. Les caméras tournent, les agences s’emballent, les manchettes s’enflamment : la “Nouvelle Algérie” s’ouvre au monde ! Les concernés, eux, avaient probablement déjà réservé leur vol retour.

Mais que cela ne freine pas le président-chanteur d’illusions. En coulisse, deux représentants de Chevron et ExxonMobil, envoyés de seconde zone, viennent “discuter”. Pas signer. Pas investir. Juste humer l’air (pollué) d’Alger. En sortant, pas un contrat, mais un communiqué lyrique vantant le « rôle de hub énergétique régional » que l’Algérie entend jouer. L’ennui, c’est qu’on ne devient pas hub par décret présidentiel. Ni par effets spéciaux.

Tebboune à Rome : pizza, permis de conduire et perte sèche

Fin juillet, nouvelle escale. Direction Rome. Quarante accords annoncés – on suppose qu’il s’agit de la météo, des timbres et peut-être d’un jumelage entre centres de tri postal. Aucun budget, aucune échéance, mais beaucoup d’accolades et une promesse : « l’Algérie ne vous décevra pas ». L’Italie, elle, a déjà gagné. Du gaz pas cher, presque à prix d’ami. Entre 4 et 5 dollars le MBTU, soit moitié moins que le marché. Un partenariat « stratégique » qui ressemble surtout à une liquidation saisonnière.

Mais la vraie affaire, c’est la reconnaissance mutuelle du permis de conduire et un « protocole de sauvetage en mer » pour les harragas algériens. Ceux qui fuient un pays riche en hydrocarbures, mais pauvre en perspectives.

Le chèque libanais : générosité sélective

Là où ça devient franchement comique, c’est quand l’Algérie, qui manque de tout, commence à distribuer. Au Liban, par exemple, où elle promet 200 millions de dollars pour reconstruire le Sud, bastion du Hezbollah. Pendant ce temps, au Sud algérien, les hôpitaux manquent de seringues, les écoles de professeurs, et les routes de bitume. Mais peu importe : en diplomatie de façade, le don bruyant vaut mieux que le développement discret.

L’ironie, c’est que ce même Liban est dans l’orbite d’États que le régime algérien abhorre : la France, les Émirats, et parfois même Israël. Mais qu’importe la cohérence quand le storytelling prime.

20 milliards malaisiens ou l’art de gonfler les ballons d’essai

Il y avait déjà les millions de martyrs, voici les milliards d’investissements. Lors d’un échange lunaire avec la presse, Tebboune lâche une bombe : un conglomérat malaisien, le Lion Group, va injecter 20 milliards de dollars en Algérie. Problème : le groupe pèse à peine 2,4 milliards de chiffre d’affaires. Autrement dit, il devrait hypothéquer dix ans d’activités pour honorer cette promesse. Même les contes orientaux sont plus réalistes.

Une diplomatie de la dissonance

À force de courir après les projecteurs, Tebboune en oublie l’essentiel : la cohérence stratégique. Encensant l’extrême droite italienne tout en fustigeant son équivalente française, tendant la main aux Américains tout en dénonçant leur plan de paix au Sahara, distribuant l’aumône au Liban tout en rationnant les couches pour nourrissons à Constantine. Le régime agit en dépit du bon sens, comme s’il raisonnait à rebours des intérêts de son propre peuple.

Chorégraphie du vide

Résultat : une diplomatie sans doctrine, sans cap, sans crédibilité. Une diplomatie qui se contente d’enfiler les réceptions comme d’autres collectionnent les bibelots. Comme l’a si bien résumé Mohamed Sifaoui, ce n’est plus de la diplomatie, c’est une chorégraphie du vide. Un théâtre d’ombres pour un public captif. Un État qui, au lieu de gouverner, s’exhibe. Et qui, à force de simuler, finit par croire à son propre décor en carton-pâte.

 

À suivre… ou pas.

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