Marocains du monde : levier stratégique ou capital dormant ?

Bouchaib El Bazi

Le Maroc a toujours vu en ses ressortissants établis à l’étranger non pas seulement une source de devises, mais un véritable levier de développement. Les Marocains Résidant à l’Étranger (MRE), par leur nombre, leurs compétences et leurs capitaux, représentent un potentiel décisif pour accompagner la transformation économique du Royaume. Mais comment transformer cette manne en investissements productifs et durables ?

Une nouvelle impulsion royale

À l’occasion du 49e anniversaire de la Marche Verte, le 6 novembre 2024, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a annoncé « une nouvelle transformation dans le mode de gestion des affaires de la communauté marocaine à l’étranger ». Une restructuration profonde qui vise à éviter les chevauchements institutionnels et à offrir aux MRE un cadre plus clair pour investir dans leur pays d’origine.

Le Conseil de la Communauté Marocaine à l’Étranger (CCME) sera ainsi réformé, et une Fondation Mohammedia des Marocains Résidant à l’Étranger verra le jour. Elle aura pour mission de coordonner une Stratégie nationale dédiée aux MRE, alignée sur les besoins réels de la diaspora et les priorités de développement du Royaume.

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Une offensive de séduction internationale

Depuis 2021, l’Agence Marocaine de Développement des Investissements et des Exportations (AMDIE) a multiplié les initiatives, avec sa campagne « Morocco Now ». L’objectif , projeter l’image d’un Maroc compétitif et innovant auprès des investisseurs internationaux et de sa propre diaspora. Inde, Corée du Sud, États-Unis, Japon, Pays-Bas, Belgique , les escales se succèdent, accompagnées de forums économiques et de rencontres directes avec des entrepreneurs.

« Le Maroc a tellement changé qu’il ne suffit plus de communiquer par sites web. Il faut du présentiel, des échanges humains et réguliers », expliquait en 2024 Lamiae Benmakhlouf, Directrice Générale du Technopark.

À cet élan institutionnel répondent également des initiatives issues de la société civile. La Fondation Trophées Marocains du Monde (FTMM), créée en 2017, a multiplié les événements économiques. Son dernier grand rendez-vous, en mai 2025 à Marrakech, fut la première édition du Forum Économique des Marocains du Monde (FEMM), qui a réuni des centaines d’entrepreneurs, investisseurs et décideurs publics.

Une contribution encore insuffisante

Malgré les efforts, la participation des MRE au financement productif demeure limitée. En 2022, les transferts de la diaspora dépassaient 100 milliards de dirhams, mais la part consacrée à l’investissement reste marginale. La Banque mondiale souligne que « la majorité des transferts concernent l’immobilier ou la consommation, bien plus que les projets productifs ».

Dans son discours du 6 novembre 2024, le Roi Mohammed VI rappelait qu’il est « inconcevable que la contribution des MRE au volume des investissements privés nationaux se limite à 10 % ». À titre de comparaison, au Nigeria et au Kenya, ce taux atteint respectivement 45 % et 35 %.

Un potentiel stratégique à libérer

La mobilisation de la diaspora ne date pas d’hier. Dès les années 1990, plusieurs instruments institutionnels ont été créés , le ministère chargé des MRE, la Fondation Hassan II, puis le fonds MDM Invest en 2002. Ce dernier prévoyait des incitations financières pour les investisseurs de la diaspora, mais son bilan reste décevant , seulement 48 projets soutenus en 20 ans, selon l’Observatoire de l’action gouvernementale.

En parallèle, des dispositifs comme le FINCOME (Forum International des Compétences Marocaines à l’Étranger) ou la plateforme MAGHRIBCOM (2013) ont cherché à rapprocher la diaspora du tissu économique national. Mais les résultats demeurent en deçà des attentes.

Or, les MRE représentent une richesse unique , scientifiques de haut niveau, ingénieurs spécialisés dans l’intelligence artificielle, experts en énergies renouvelables ou en industrie, sans compter les entrepreneurs expérimentés. Leur mobilisation pourrait constituer un accélérateur majeur pour l’émergence d’un secteur privé marocain plus productif, innovant et créateur d’emplois.

Le défi de la deuxième vitesse

Le Maroc vit aujourd’hui un moment charnière. Avec le Nouveau Modèle de Développement (NMD), il ambitionne d’ici 2030 de devenir une puissance compétitive, durable et inclusive. Mais pour relever ce défi, il doit élargir sa base entrepreneuriale , le tissu économique reste dominé par des très petites entreprises, et le chômage des jeunes atteignait près de 40 % en 2024.

Face à ces enjeux, la diaspora peut être le levier de la deuxième vitesse. Encore faut-il lui offrir des dispositifs clairs, des circuits administratifs fluides et une communication transparente. Les MRE ne demandent pas seulement des slogans, mais des partenariats concrets, sécurisés et viables.

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