Depuis bientôt cinquante ans, un nom revient sans cesse lorsqu’on évoque les tensions maghrébines : Tindouf. Cette ville désertique de l’ouest algérien abrite le Front Polisario et des dizaines de milliers de réfugiés sahraouis. Officiellement, Alger leur ouvre son territoire pour des raisons humanitaires. Officieusement, ce choix répond à une logique politique et stratégique qui façonne encore aujourd’hui l’équilibre du Maghreb.
Une vieille querelle entre voisins
Tout part d’une méfiance enracinée dans l’histoire. Dès 1963, la guerre des Sables oppose l’Algérie indépendante et le Maroc autour de frontières mal tracées. Les cicatrices ne se refermeront jamais vraiment. Pour Rabat, certaines zones, dont Tindouf, appartiennent historiquement au Sahara oriental marocain. Pour Alger, céder sur ce terrain serait reconnaître une fragilité de sa souveraineté.
Le dossier du Sahara occidental devient alors une carte maîtresse , en parrainant le Polisario, l’Algérie bloque les ambitions marocaines et maintient un voisin affaibli sur la scène internationale.
Une profondeur stratégique utile
Accueillir le Polisario à Tindouf, c’est bien plus qu’un geste de solidarité. Pour Alger, c’est l’assurance de disposer d’un outil de pression permanent sur son rival. Les camps sahraouis, surveillés par l’armée algérienne, sont autant de bases arrières qui permettent au Polisario de rester opérationnel.
En parallèle, ce soutien extérieur détourne l’attention de revendications internes sensibles, comme celles de la Kabylie, en consolidant l’idée d’une Algérie gardienne des causes « justes » à l’international.
La vitrine diplomatique d’Alger
À l’étranger, ce rôle nourrit une image flatteuse : celle d’un pays champion du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Au sein du Mouvement des non-alignés, de l’Union africaine ou auprès d’alliés comme Cuba et l’Afrique du Sud, Alger brandit la cause sahraouie comme un étendard. La « République arabe sahraouie démocratique » bénéficie ainsi d’un soutien diplomatique sans lequel elle n’aurait sans doute pas survécu.
Des milliards pour une cause
Ce parrainage a un coût colossal. Chaque année, environ 850 millions d’euros seraient consacrés par Alger au financement direct et indirect du Polisario : logistique militaire, infrastructures, action diplomatique. Une partie de l’aide humanitaire internationale transite également par les autorités algériennes, renforçant leur rôle de gardien et d’intermédiaire.
Une région prisonnière du conflit
Mais le prix à payer dépasse les finances. L’Union du Maghreb arabe, rêvée dans les années 1980, reste paralysée. Les tensions entre Rabat et Alger ne cessent d’alimenter un climat de méfiance. Et à l’ombre des camps militarisés de Tindouf, les menaces s’accumulent : infiltration terroriste, trafics transsahariens, instabilité chronique aux portes du Sahel.
Une stratégie assumée, mais risquée
Au fond, le soutien algérien au Polisario n’est pas une improvisation, mais un choix politique enraciné depuis des décennies. Une manière d’exister face au Maroc, de projeter une image internationale, de sécuriser une profondeur stratégique.
Un choix qui, paradoxalement, empêche toute solution durable. Tant que Tindouf restera la carte maîtresse d’Alger, le Maghreb restera un espace fragmenté, prisonnier d’un conflit gelé.