Mali–Algérie : la crise du drone qui vire au contentieux international

Bouchaib El Bazi

Un nouvel épisode vient envenimer les relations déjà exécrables entre Bamako et Alger. Le jeudi 4 septembre, le gouvernement malien a annoncé avoir saisi la Cour internationale de justice (CIJ) contre l’Algérie, qu’il accuse d’« agression flagrante » et de « complicité avec des groupes terroristes » actifs dans la région du Sahel.

L’affaire remonte à la nuit du 31 mars au 1er avril 2025, lorsque l’armée algérienne a abattu un drone malien près de Tinzaouaten, dans la région de Kidal, zone frontalière et hautement instable. Selon Bamako, l’appareil effectuait une mission de reconnaissance contre un groupe armé lorsqu’il a été détruit « à l’intérieur du territoire malien » par un tir algérien.

Un contentieux déjà ancien

L’incident n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une longue série de tensions entre les deux voisins, exacerbées depuis l’abrogation par le Mali, en janvier 2024, de l’Accord d’Alger signé en 2015 avec les mouvements touaregs. Bamako reproche depuis longtemps à l’Algérie d’abriter et de ménager les groupes armés sahéliens, tout en s’érigeant en médiateur incontournable. La rupture a été consommée lorsque la junte malienne a dénoncé des « ingérences » d’Alger dans ses affaires internes.

Le soutien immédiat exprimé en avril par les alliés du Mali au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES) – le Burkina Faso et le Niger – illustre combien ce dossier dépasse le simple cadre bilatéral. Pour ces régimes militaires, aujourd’hui soudés face aux pressions extérieures, l’Algérie représente moins un partenaire qu’un obstacle, accusée de jouer un double jeu dans la lutte antiterroriste.

Une diplomatie algérienne affaiblie

La plainte déposée à La Haye tombe mal pour Alger, qui tente depuis plusieurs mois de redorer son blason africain à coups de forums économiques et de grands-messes diplomatiques. Or, la mise en cause de son armée – considérée comme la colonne vertébrale du régime – fragilise ce discours de puissance régionale responsable.

Les explications fournies par le ministère algérien de la Défense, affirmant que le drone malien aurait violé l’espace aérien national, ont été jugées peu convaincantes. Aucune preuve n’a été présentée, tandis que Bamako affirme disposer d’éléments matériels, notamment les débris de l’appareil retrouvés du côté malien de la frontière.

Le spectre du terrorisme transfrontalier

Au-delà de l’incident technique, c’est la question du rôle réel de l’Algérie dans la nébuleuse djihadiste sahélienne qui revient sur le devant de la scène. Le Mali accuse Alger de protéger sur son territoire certaines figures clés, au premier rang desquelles Iyad Ag Ghali, chef de la coalition « JNIM » (Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin), réclamé à la fois par Bamako et par la Cour pénale internationale.

Cette accusation, répétée depuis des années par plusieurs chancelleries de la région, prend désormais une dimension juridique internationale avec la saisine de la CIJ. Même si la procédure sera longue, le simple dépôt de la plainte porte un coup sévère à la diplomatie algérienne, déjà mise à l’écart par plusieurs voisins avec lesquels elle entretient des relations tendues.

Une Algérie isolée

Le timing n’a rien d’anodin : la plainte malienne a été rendue publique le jour même où Alger inaugurait un forum africain sur le commerce et l’investissement. Un contraste saisissant, qui illustre l’écart entre le discours officiel d’une Algérie « locomotive » du continent et la réalité d’un pays dont les frontières restent verrouillées avec presque tous ses voisins, du Maroc à la Libye.

Pour Bamako et ses partenaires de l’AES, il s’agit non seulement de dénoncer une « agression militaire », mais aussi de mettre en lumière un système régional où l’Algérie est accusée de protéger les instabilités dont elle prétend se prémunir.

La procédure devant la Cour internationale de justice, si elle aboutit, pourrait bien constituer un précédent , celui où un État sahélien, longtemps dépendant des médiations algériennes, retourne contre Alger les accusations de duplicité qu’elle a trop souvent cherché à écarter.

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