La transformation de Dakhla : entre vision royale et mutation territoriale
Par Bouchaib El Bazi
À rebours d’un précédent article polémique, Le Monde a récemment consacré un reportage à la ville de Dakhla, soulignant son insertion dans un projet de développement global initié par le roi Mohammed VI. Loin d’être perçue comme une périphérie lointaine, cette cité des provinces du Sud apparaît désormais comme une plateforme stratégique, au cœur d’une dynamique de modernisation économique, sociale et géopolitique.
Une périphérie réinventée
Dakhla, deuxième agglomération des provinces sahariennes après Laâyoune (165 000 habitants contre 260 000), n’est plus réduite à sa géographie d’extrémité méridionale. Elle constitue désormais un pivot central de la politique nationale en matière d’aménagement du territoire et de diplomatie économique. Les projets structurants en cours — port atlantique, autoroute Tiznit-Dakhla, zones industrielles et logistiques — traduisent une volonté d’intégration de la région dans les flux mondiaux.
La stratégie royale vise à faire de la région une interface entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques, capitalisant sur sa façade atlantique et sa proximité avec les routes maritimes stratégiques. Cette orientation confirme l’idée d’un repositionnement de la « marge » en « centre », en accord avec les théories contemporaines sur les recompositions territoriales.
Une ville en chantier permanent
Le reportage du quotidien français décrit une ville littéralement en construction. Dans le hall du Centre régional d’investissement, les bruits de foreuses et de bulldozers perturbent les échanges professionnels. Les rues sont ouvertes, les trottoirs éventrés, les réseaux hydrauliques en cours de rénovation. L’impression immédiate est celle d’un désordre urbain, mais ce chaos apparent s’inscrit dans un processus plus vaste de refondation des infrastructures.
Cette transformation matérielle est révélatrice de ce que l’on peut qualifier de modernité accélérée , une temporalité urbaine où les habitants s’adaptent à une mobilité contrainte, conscients que les désagréments actuels préfigurent une amélioration substantielle de leurs conditions de vie.
Tourisme, sport et attractivité internationale
L’une des particularités de Dakhla réside dans sa double identité , ville en développement industriel et hub touristique mondial. Sa lagune est déjà un haut lieu du kitesurf et des sports nautiques, attirant une clientèle internationale en quête d’authenticité et de paysages préservés.
La planification urbaine inclut également des investissements hôteliers haut de gamme et des programmes sociaux destinés à encadrer cette attractivité. On retrouve ici un modèle hybride de développement , conjuguer ouverture internationale et bénéfices locaux, notamment en matière d’emploi et de logement.
Défis et perspectives
Le cas de Dakhla illustre les tensions inhérentes à toute dynamique de modernisation. Si les chauffeurs de taxi se plaignent des routes impraticables et des chantiers permanents, l’horizon tracé par le projet royal demeure celui d’une métropole émergente, dotée d’infrastructures de rang mondial et capable de rayonner bien au-delà de son environnement régional.
En outre, les investissements dans les énergies renouvelables (solaire et éolien) traduisent une volonté de lier développement économique et durabilité environnementale. Ce choix positionne la région comme acteur potentiel des transitions énergétiques africaines et atlantiques.
La trajectoire de Dakhla témoigne d’une stratégie de long terme où l’espace saharien cesse d’être appréhendé comme périphérique pour devenir moteur. En ce sens, le reportage de Le Monde marque un infléchissement narratif significatif , il met en avant les réalisations concrètes et les ambitions stratégiques d’une ville appelée à devenir un pôle d’influence économique et géopolitique.
L’étude de ce cas illustre une réalité plus large , la transformation des périphéries africaines en nœuds d’articulation des échanges globaux. Dans cette perspective, Dakhla n’est pas seulement un chantier urbain ; elle est l’incarnation d’une vision royale où le local s’imbrique résolument dans le global.