Une obsession appelée Maroc : le voisin occidental entre mirage d’hostilité et réalité de prospérité
Par Bouchaib El Bazi
Dans l’imaginaire collectif, le voisin incarne traditionnellement le soutien, la solidarité, parfois même la fraternité. Pourtant, la relation entre le Maroc et l’Algérie semble constituer l’exception qui confirme la règle. Car, à Alger, un mot hante les discours, nourrit les polémiques et déclenche des réactions disproportionnées , Maroc. Trois syllabes qui, dans le lexique politique algérien, résonnent comme un avertissement nucléaire.
Depuis la fermeture des frontières terrestres en 1994, les deux pays vivent une séparation forcée. Mais la rupture n’a cessé de s’aggraver , l’Algérie est allée jusqu’à fermer son espace aérien aux avions marocains, comme si un vol commercial de la Royal Air Maroc transportait sur ses ailes des secrets plus dangereux que ceux des satellites espions.
Cette obsession n’a pas épargné le patrimoine. Le caftan marocain s’est vu rebaptisé « caftan algérien », le zellige fassi est soudain devenu « maghrébin », et même le couscous a failli changer de nationalité avant que l’UNESCO ne rétablisse la vérité historique.
Plus encore, Alger a franchi le pas de l’absurde en armant et hébergeant le Polisario, en ouvrant ses salons aux séparatistes et en encourageant la création de formations politiques fantomatiques, dont l’existence se limite aux salles d’hôtels défraîchis de la capitale algérienne. Une hospitalité idéologique qui ressemble davantage à un buffet gratuit pour quiconque arbore la bannière « anti-Maroc ».
Mais la palme de la bizarrerie revient sans doute à la censure linguistique. Dans les médias officiels algériens, le mot « Maroc » est presque tabou. En période de Ramadan, la tension atteint un sommet : comment annoncer la prière du Maghreb sans prononcer le mot interdit ? La solution fut une innovation théologique improbable , la « prière après al-Asr ». De quoi transformer un rite millénaire en objet de moquerie internationale, pendant que les citoyens algériens, eux, rient sous cape de ce théâtre bureaucratique.
Feu Hassan II avait résumé la situation en une formule célèbre , « Que le monde sache avec qui Dieu nous a condamnés à être voisins. » Aujourd’hui, il aurait sans doute ajouté , « Même la prière n’a pas échappé à cette paranoïa frontalière. »
La véritable ironie réside dans le contraste. Le Maroc, qui semble susciter une inquiétude obsessionnelle, suit une trajectoire de développement claire , investissements massifs dans les provinces du Sud, le port Tanger Med classé parmi les plus importants au monde, une industrie automobile et aéronautique tournée vers l’export, un TGV reliant Tanger à Casablanca, et une diplomatie qui positionne Rabat comme un acteur central sur l’échiquier international.
En face, l’Algérie reste prisonnière d’un discours figé dans les années cinquante, engluée dans une crise économique malgré ses ressources en gaz et en pétrole, n’exportant que des déclarations hostiles et s’enfermant dans une logique de déni face aux réussites de son voisin de l’Ouest.
Pendant que le Maroc construit pas à pas son avenir, l’Algérie érige un mur imaginaire contre un mot de trois lettres. Peut-être que le plus beau cadeau que les Marocains pourraient offrir à leurs frères algériens serait un simple dictionnaire , pour leur rappeler que le « Maroc » n’est ni une insulte, ni une menace, mais un pays, une histoire, une civilisation, et un État solidement établi… qu’on le veuille ou non.