Quand la communication rattrape la réalité : le rendez-vous manqué d’Aziz Akhannouch avec la santé publique
Bouchaib El Bazi
Le 10 septembre, Aziz Akhannouch s’est offert une vitrine médiatique d’une heure et quart, soigneusement scénarisée, sur les deux chaînes publiques marocaines les plus regardées, Al Aoula et 2M. Le décor était clair , rassurer, défendre un bilan et surtout se mettre en scène en bon gestionnaire de chantiers royaux. Mais à peine le rideau tombé, la réalité est venue frapper à sa porte. Dans son propre fief électoral, à Agadir, huit femmes ont perdu la vie en l’espace d’une semaine à l’hôpital Hassan II. Une tragédie qui dit plus long que tous les discours sur l’état d’une santé publique à bout de souffle.
Un exercice de communication calibré
La prestation télévisée du chef du gouvernement ressemblait davantage à une soupe réchauffée qu’à une véritable reddition de comptes. Les éléments de langage étaient rodés, la mise en scène verrouillée, le ton feutré. Main sur le cœur, Akhannouch promettait de « poursuivre sérieusement » la mise en œuvre des grands chantiers sociaux lancés par le roi Mohammed VI , santé, éducation, protection sociale.
Pourtant, les images de son Agadir natal, où il est à la fois maire et figure tutélaire de la région Souss-Massa, racontaient une autre histoire. Le 14 septembre, des centaines d’habitants descendaient dans la rue pour dénoncer la « désorganisation » et les « drames évitables » de l’hôpital Hassan II. Quelques semaines plus tôt déjà, une colère identique avait éclaté. Cette fois, le déclencheur est glaçant , l’utilisation de doses d’anesthésiant non conformes dans le service de maternité, ayant provoqué la mort de huit parturientes en une seule semaine.
L’hôpital Hassan II, symbole d’un système à la dérive
Construit en 1967, l’établissement est censé assurer à la fois les fonctions d’hôpital régional, de centre hospitalier universitaire et de structure de référence pour les provinces voisines, y compris celles du Sud. Depuis 2017, il encadre également les étudiants en médecine. Mais derrière l’étiquette, une réalité accablante , bâtiments vétustes, manque criant de moyens, gestion erratique.
Les chiffres, pourtant mis en avant par la directrice régionale de la santé, Lmyae Chakiri, donnent le vertige. En six mois, 33 000 passages aux urgences, 4 380 scanners, 1 761 opérations chirurgicales, 70 000 analyses biologiques… Autant d’indicateurs d’un établissement saturé. Deux jours après la manifestation, la même Chakiri était limogée, transformée en bouc émissaire idéal.
Des « solutions » à courte vue
Le ministre de la Santé, Amine Tahraoui – ancien cadre du groupe Akwa, propriété d’Akhannouch – a fini par se rendre sur place. Résultat , limogeages en série (directeur de l’hôpital, délégué provincial, directrice régionale), rupture de contrats avec les sociétés de nettoyage et de sécurité, promesse d’un scanner flambant neuf. Une série de mesures plus cosmétiques que structurelles.
Le gouvernement a aussi annoncé un plan de 200 millions de dirhams pour la réhabilitation de l’hôpital, en attendant l’ouverture d’un CHU flambant neuf, projet lancé bien avant l’arrivée d’Akhannouch à la primature. Autrement dit , quelques pansements sur une plaie béante.
Une crise sanitaire devenue crise politique
La tragédie d’Agadir dépasse le cadre médical. Elle interroge directement la gouvernance du chef du gouvernement, pris en flagrant délit de décalage entre son discours télévisé et la réalité vécue par les citoyens. Comment croire à une volonté de réforme quand l’action se limite à gérer l’image et à éteindre les incendies sociaux ?
Au fond, le problème est moins celui d’un hôpital que celui d’un système public en panne, où la santé devient une loterie et la communication une fuite en avant. Le parallèle avec l’Algérie de Tebboune n’est pas fortuit , même réflexe d’occuper les écrans pour masquer les fissures, même incapacité à affronter les réformes de fond.
Pour Akhannouch, l’enjeu est double , préserver son capital politique à l’approche des prochaines échéances électorales et convaincre que sa mainmise sur Agadir n’est pas synonyme de faillite. Mais pour les familles endeuillées et les citoyens en quête de soins, l’essentiel est ailleurs , une santé publique digne de ce nom, où la vie humaine ne se négocie pas à coups de promesses creuses et de budgets saupoudrés.