Algérie : l’arrestation du colonel Belazzoug, symptôme d’un régime miné par ses propres clans
Bouchaib El Bazi
L’onde de choc provoquée par l’arrestation, le 10 septembre, du colonel Salim Belazzoug, ancien directeur de la police judiciaire de la DGSI (services de renseignement intérieur), continue de secouer les plus hautes sphères de l’État algérien. Poursuivi pour corruption, le colonel déchu a comparu le 15 septembre devant le procureur du tribunal militaire de Blida, qui a ordonné son maintien en détention. Une affaire qui dépasse le simple cadre judiciaire , elle met en lumière l’emprise des pratiques mafieuses sur l’appareil d’État et révèle l’acuité du bras de fer permanent entre la présidence et l’état-major militaire.
Un officier au cœur du système
Figure controversée du renseignement, Belazzoug s’était bâti depuis les années 1990 une réputation sulfureuse. Ancien cadre du redouté Département du renseignement et de la sécurité (DRS), il avait transformé son poste en instrument d’enrichissement personnel , villas cossues dans les beaux quartiers d’Alger, sociétés-écrans dans l’agroalimentaire et l’électronique, et une fortune dissimulée derrière des prête-noms. Sa fille, installée dans le très chic 8ᵉ arrondissement de Paris, illustrait ce train de vie financé par des rentes occultes.
Mais cette ascension vertigineuse ne s’explique pas uniquement par ses « talents » de prédateur. Ses liens avec Mohamed Tebboune, le fils du président Abdelmadjid Tebboune, lui ont ouvert les portes du cercle présidentiel. Ensemble, ils ont multiplié les affaires, depuis une licence d’exportation de produits agroalimentaires octroyée en 2017 jusqu’à une réintégration controversée à la DGSI en 2024, malgré une retraite officielle depuis 2020.
Le clan présidentiel dans la tourmente
L’implication des fils Tebboune dans cette affaire fragilise encore la légitimité d’un régime déjà contesté. Mohamed Tebboune, présenté par de nombreux observateurs comme le « nouveau Saïd Bouteflika », n’est pas le seul à être éclaboussé. L’ombre de Khaled Tebboune ressurgit également , son nom reste associé au scandale retentissant des 701 kilos de cocaïne saisis au port d’Oran en 2018, affaire qui l’avait conduit en prison avant qu’il ne soit libéré sur décision politique en 2020, au lendemain de l’accession de son père à la présidence.
Ces dérives familiales illustrent une constante du système algérien , le népotisme, qui transforme la fonction publique en instrument au service des intérêts privés des proches du pouvoir.
Le bras de fer Chengriha – Tebboune
Derrière la chute de Belazzoug, les regards se tournent vers le général Saïd Chengriha, chef d’état-major et véritable arbitre des luttes de clans. L’officier déchu aurait franchi la ligne rouge en s’attaquant à un homme d’affaires proche du général. Une provocation de trop pour Chengriha, qui a ordonné son arrestation, envoyant ainsi un signal direct au clan présidentiel.
Ce nouvel épisode s’inscrit dans une rivalité ancienne. En 2020, lors de la longue hospitalisation de Tebboune en Allemagne, Chengriha avait envisagé de profiter du vide institutionnel pour évincer le président. Depuis, les deux hommes cohabitent dans une paix armée, alternant neutralisation mutuelle et coups bas judiciaires.
La logique clanique, au détriment de l’État
L’affaire Belazzoug ne constitue pas une rupture, mais une confirmation , en Algérie, la justice militaire est moins un instrument de droit qu’un outil de régulation des rapports de force internes. La réouverture du dossier de la cocaïne, vite étouffée par la présidence, illustre à quel point chaque clan manipule les affaires judiciaires pour affaiblir ses rivaux.
Dans ce système verrouillé, la gouvernance est dictée par la peur de l’éviction plutôt que par la recherche d’efficacité. Les institutions sont instrumentalisées, les services de renseignement décapités à répétition — quatre directeurs en moins de quatre mois pour le renseignement extérieur — et les élites économiques rackettées.
Une affaire révélatrice
L’arrestation du colonel Belazzoug révèle un régime où les rivalités claniques l’emportent sur toute logique d’État. Elle illustre la fragilité d’un pouvoir présidentiel rongé par le népotisme et démonte l’illusion d’une « lutte contre la corruption » qui ne vise que les adversaires du moment.
Au-delà du scandale, l’affaire pose une question cruciale , jusqu’où un système fondé sur le clientélisme, la peur et la prédation peut-il tenir, alors que la société algérienne, confrontée à la crise économique et à l’isolement diplomatique, réclame de plus en plus de transparence et de responsabilité ?