Le Maroc et l’Afrique : une stratégie de retour face aux bouleversements mondiaux
Bouchaib El Bazi
La multiplication des crises – guerres, tensions géopolitiques, dérèglement climatique et turbulences économiques – a contraint de nombreux pays à diversifier leurs partenariats et à élargir leurs alliances. Le Maroc, longtemps arrimé à l’Europe comme partenaire politique et économique privilégié, a choisi depuis plusieurs années de redessiner sa carte diplomatique. Au cœur de cette réorientation figure l’Afrique, non comme simple horizon conjoncturel, mais comme pilier d’une vision stratégique fondée sur les partenariats Sud-Sud.
Un retour assumé à l’Union africaine
Après plus de trois décennies d’absence, le Maroc a réintégré l’Union africaine en 2017. Ce retour n’a pas été symbolique , il a marqué la volonté politique claire de Rabat de reprendre toute sa place au sein du continent. Depuis 2000, le roi Mohammed VI a multiplié les visites officielles dans plus de 20 pays africains, donnant lieu à la signature de plus de 100 accords bilatéraux couvrant des secteurs variés : agriculture, énergie, infrastructures, éducation et santé.
L’économie comme levier de puissance
Conscient que l’influence politique passe désormais par l’économie, le Maroc a choisi d’investir directement dans les marchés africains. Ses grandes entreprises bancaires, de télécommunications et d’engrais y jouent aujourd’hui un rôle majeur. Le groupe OCP, par exemple, développe de vastes projets au Nigeria et en Éthiopie pour renforcer la sécurité alimentaire africaine, tout en intégrant ces initiatives dans une logique de distribution régionale.
Le projet phare demeure le gazoduc Nigeria–Maroc. Traversant 11 pays de la côte ouest-africaine jusqu’à l’Europe via le Royaume, il promet non seulement de sécuriser l’approvisionnement énergétique, mais aussi de stimuler le développement industriel et l’intégration régionale.
Transition énergétique et infrastructures de connexion
Au-delà du gaz, le Maroc mise sur les énergies renouvelables. Fort de son expérience dans les projets solaires et éoliens, notamment le complexe Noor de Ouarzazate, le pays ambitionne d’exporter son savoir-faire vers d’autres nations africaines.
La Royal Air Maroc, de son côté, a élargi son réseau à plus de 30 destinations africaines, renforçant la mobilité des entrepreneurs, des étudiants et des touristes, et consolidant le maillage logistique indispensable à des partenariats économiques solides.
L’Afrique : marché, ressource et allié politique
Avec certaines des économies les plus dynamiques du monde, l’Afrique représente à la fois un marché d’expansion, une source de matières premières et un espace d’opportunités. Sur le plan diplomatique, la coopération avec ses partenaires africains offre au Maroc un poids supplémentaire dans les forums internationaux, qu’il s’agisse du dossier du Sahara ou des réformes de la gouvernance économique mondiale.
La force douce marocaine
L’ancrage africain du Maroc repose aussi sur la diplomatie culturelle et religieuse. Les liens historiques, notamment via les confréries soufies, constituent un vecteur puissant de rapprochement. Rabat a su capitaliser sur ce patrimoine en développant la formation d’imams africains et en proposant des bourses universitaires à des milliers d’étudiants du continent. Une politique d’influence qui mise sur l’éducation, la tolérance et la coopération culturelle.
Des défis considérables
Cette stratégie se déploie toutefois dans un contexte concurrentiel intense. La Chine, l’Inde, la Turquie ou encore la Russie investissent massivement en Afrique, tandis que les anciennes puissances coloniales cherchent à préserver leurs positions. À cela s’ajoutent des fragilités structurelles dans plusieurs pays africains – instabilité politique, infrastructures limitées – susceptibles de freiner la concrétisation de certains projets.
Le financement constitue un autre défi , les grands chantiers nécessitent des partenariats triangulaires associant le Maroc, ses homologues africains et les institutions financières internationales ou régionales.
Une coopération à double sens
Pour être durables, les partenariats Sud-Sud doivent s’appuyer sur le principe de bénéfice mutuel. Le Maroc devra veiller à ce que ses investissements créent des emplois locaux, favorisent le transfert de compétences et contribuent au renforcement des capacités nationales. L’implication du secteur privé et de la société civile renforcerait également la crédibilité et la pérennité de cette stratégie.
Face à la fragilité d’un système mondial en recomposition, le Maroc offre un modèle de politique étrangère plus équilibrée et moins dépendante de l’Europe. Sa stratégie africaine ne vise pas à remplacer ses relations historiques avec le Nord, mais à les compléter par une diversification essentielle.
Si Rabat parvient à maintenir une vision claire, à investir intelligemment et à bâtir des partenariats sincères, le Royaume pourrait non seulement consolider sa place en Afrique, mais aussi s’imposer comme un pont stratégique entre le continent et l’Europe, et comme un acteur régional capable de peser sur l’avenir d’une Afrique en pleine mutation.