Éducation au Maroc : entre dysfonctionnements structurels et réformes avortées

Bouchaib El Bazi

Dans une enquête journalistique menée par Akhbarna Al-Jalia, une image frappante de la réalité éducative au Maroc se dévoile, révélant des dysfonctionnements structurels qui maintiennent l’école marocaine dans l’impasse entre réformes avortées et décisions improvisées, dans un contexte d’absence de vision stratégique et de continuité institutionnelle. L’enquête révèle que durant l’année scolaire 2021–2022, près de 335 000 élèves ont abandonné l’école, soit environ 15 % de l’effectif total. L’année suivante, environ 66 000 élèves ont été réintégrés, ce qui a permis une légère réduction du taux de décrochage. Toutefois, le taux annuel reste compris entre 300 000 et 331 000 élèves, selon les rapports des années précédentes. La majorité des abandons se produisent dans l’enseignement obligatoire, 78 % touchant les cycles primaire et secondaire collégial. Les établissements situés en zones rurales portent le poids le plus lourd, avec des écoles souvent construites dans des sites marginalisés ou à proximité de cimetières. Des centaines de millions de dirhams sont investis dans des programmes éducatifs sous des plans d’urgence pour être ensuite annulés par des décisions ministérielles, remettant en cause la durabilité de l’impact des réformes.

L’enquête souligne que le personnel éducatif, en classe ou en encadrement, produit des centaines de rapports qualitatifs sur les besoins et défis, mais ceux-ci sont souvent négligés et ignorés dans l’élaboration des réformes, se transformant en documents statiques incapables de changer la réalité. Dans de nombreuses zones rurales, l’école est perçue comme une source d’inquiétude ou de rejet par les familles, surtout lorsque l’accès à l’emploi après la graduation n’est pas garanti. Certains habitants refusent la construction d’écoles sur leurs terrains tant que l’éducation ne garantit pas un avenir tangible pour leurs enfants. Le système est souvent géré de manière opportuniste et temporaire, et non selon une vision institutionnelle, sans écouter ceux qui connaissent le mieux le terrain, enseignants et inspecteurs. Les politiques se succèdent souvent en fonction d’intérêts individuels plutôt que de projets nationaux cumulatifs.

Malgré les classements mondiaux plaçant l’éducation marocaine parmi les systèmes les plus faibles, cette crise se traduit concrètement par une baisse des compétences fondamentales en langues et en mathématiques, surtout dans les cycles primaire et collégial.

L’enquête révèle également que le Maroc a connu de grandes expériences de réforme, avec des budgets colossaux et des programmes de formation étendus, mais ces projets sont rapidement abandonnés, laissant le système sans plan pédagogique stable. Ces pratiques font de la réforme une affaire de personnes et de périodes politiques, plutôt qu’un chantier national à long terme, entraînant une perte de confiance dans l’efficacité des politiques éducatives.

Les inspecteurs et éducateurs produisent des rapports précis sur la situation scolaire, mais ces documents restent souvent sans impact pratique. Des décisions autoritaires sont prises puis annulées sous la pression des syndicats ou de la rue, entraînant un manque de continuité et des réformes qui échouent dès le changement des responsables. Le système vit dans un état d’expérimentation constante.

L’enquête met également en lumière une situation préoccupante dans les zones rurales, où certains habitants considèrent l’école comme un fardeau après que sa capacité à offrir des opportunités d’emploi ou de mobilité sociale ait diminué. Dans de nombreuses régions, les terrains pour construire les écoles sont situés en périphérie ou à proximité des cimetières, ce qui réduit l’attractivité de l’éducation et aggrave les inégalités territoriales.

Cette enquête ne se limite pas à la description de la situation, elle présente aux responsables éducatifs une image claire des dysfonctionnements accumulés au fil des décennies. Le message central est que toute réforme dépourvue de vision à long terme et incapable de capitaliser sur les acquis est vouée à l’échec, quels que soient les moyens financiers ou humains investis.

Les conclusions de l’enquête sonnent comme un avertissement , contradictions structurelles, interruptions des politiques, absence de continuité et dégradation de l’image de l’école auprès des citoyens. Dans un contexte mondial qui exige un investissement dans le capital humain pour relever les défis économiques, la persistance de ces dysfonctionnements menace l’avenir des générations futures et fait de l’école marocaine un enjeu national nécessitant une révision complète et une volonté politique réelle pour reconstruire un système éducatif cohérent et efficace.

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