Analyse : La portée stratégique de la lettre royale au Conseil supérieur des Oulémas

Abdellah Boussouf

La récente lettre adressée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI au Conseil supérieur des Oulémas ne peut être réduite à un simple rappel moral ou spirituel. Elle s’inscrit dans un contexte marqué par la montée des extrémismes, la propagation d’idéologies obscurantistes et la nécessité de redonner à l’islam marocain sa profondeur humaniste et universelle. Derrière les mots du Souverain se dessine une véritable feuille de route intellectuelle et politique, visant à réarmer le champ religieux face aux menaces internes et aux turbulences régionales.

Un rappel aux fondements spirituels

Le Roi, Commandeur des croyants, replace la référence prophétique au centre du discours. En soulignant le modèle de miséricorde et de tolérance incarné par le Prophète Mohammed, le message royal invite les oulémas à revisiter l’essence de la tradition islamique : un islam du juste milieu, de la modération et du respect de la dignité humaine. Loin d’un simple exercice rhétorique, cette orientation vise à contrer les discours radicaux qui réduisent la religion à un instrument de division et de violence.

La science religieuse face aux défis contemporains

Le texte royal interpelle les savants musulmans sur leur responsabilité dans la formation intellectuelle et spirituelle des générations. Il ne s’agit pas seulement d’enseigner des dogmes, mais d’offrir une lecture capable de dialoguer avec la modernité, les sciences humaines et les valeurs universelles. Dans un monde traversé par les crises sanitaires, les guerres identitaires et les fractures sociales, l’islam marocain est appelé à montrer qu’il peut constituer un rempart contre l’irrationalité et l’extrémisme.

Une dimension politique affirmée

Derrière l’appel spirituel se profile une portée éminemment politique. À travers cette lettre, le Roi rappelle que la bataille des idées n’est pas moins décisive que celle des frontières. Dans une Europe marquée par l’islamophobie et une Afrique fragilisée par l’instrumentalisation religieuse, le Maroc ambitionne d’incarner un modèle , celui d’un islam enraciné dans son authenticité, mais ouvert sur l’universel. Cette vision confère au Conseil supérieur des Oulémas une mission stratégique , non seulement préserver l’orthodoxie, mais aussi rayonner à l’échelle internationale.

L’urgence d’une réforme pédagogique

Le message royal va au-delà des exhortations. Il appelle à repenser les méthodes d’enseignement religieux, à investir les médias, le théâtre, la littérature et les arts comme relais de transmission. L’enjeu est clair , sortir la religion du carcan des discours figés pour en faire une force de créativité, d’unité et d’équilibre social. Cette réforme pédagogique est d’autant plus urgente qu’elle s’adresse à une jeunesse marocaine et musulmane exposée aux séductions du radicalisme numérique et aux récits simplistes des propagandes extrêmes.

La lettre royale au Conseil supérieur des Oulémas est un texte d’une densité stratégique. Elle articule la spiritualité à la politique, l’héritage religieux à la modernité, l’identité nationale à l’universalité. Dans un moment historique où la confusion idéologique menace la cohésion des sociétés, le Maroc propose un cap , réhabiliter un islam de paix et de savoir, en faire un instrument de stabilité et un pilier de la diplomatie culturelle et spirituelle.

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