La fuite de Nacer el-Djinn : un séisme sécuritaire et politique en Algérie

Bouchaib El Bazi

L’évasion spectaculaire de l’ex-directeur de la sécurité intérieure, le général Abdelkader Haddad, plus connu sous le nom de Nacer el-Djinn, a provoqué un véritable tremblement de terre à Alger. Placé en résidence surveillée après son limogeage inattendu en mai dernier, ce haut gradé considéré comme l’un des piliers du système sécuritaire s’est volatilisé, mettant à nu les fragilités d’un appareil d’État déjà miné par les luttes intestines.

Un état d’alerte inédit depuis la “décennie noire”

Selon Le Monde, la capitale et sa périphérie ont vécu jeudi et vendredi derniers sous un dispositif sécuritaire digne d’une chasse à l’homme de grande ampleur. Barrages routiers, fouilles systématiques des véhicules, circulation paralysée pendant des heures , tout Alger s’est retrouvé sous cloche. Même les hélicoptères de l’armée patrouillaient dans le ciel, comme si l’on traquait une cellule terroriste. Pourtant, la cible n’était autre qu’un seul homme , le général Nacer el-Djinn, un ancien proche du président Abdelmadjid Tebboune.

Ascension fulgurante et chute brutale

Nommé en juillet 2024 à la tête de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), Nacer el-Djinn incarnait la loyauté envers le président Tebboune, dont il avait accompagné la campagne pour un second mandat. Moins d’un an plus tard, en mai 2025, il est brutalement écarté, signe évident de la guerre de clans qui gangrène le sommet du pouvoir.

Après son éviction, il est incarcéré à la prison militaire de Blida, puis transféré à Béchar, avant d’être assigné à résidence dans une villa cossue de Dely Ibrahim, quartier huppé d’Alger. Malgré une surveillance renforcée, il parvient à disparaître dans des conditions pour le moins mystérieuses – un camouflet pour l’appareil sécuritaire.

Une figure controversée

Nacer el-Djinn est réputé être l’un des généraux les plus influents du pays. Il aurait dirigé le fameux centre Antar, structure opaque liée aux opérations de renseignement et aux interrogatoires controversés. Son nom est associé à des méthodes jugées brutales par plusieurs ONG. Dès lors, son évasion prend une dimension explosive , elle représente une menace directe pour les secrets d’État qu’il détient, mais aussi pour l’équilibre interne des forces au sommet du régime.

Confusion officielle et guerre des clans

L’Agence de presse officielle a simplement annoncé une réunion d’urgence du Haut Conseil de sécurité, sans livrer de détails. Ce silence contraste avec le branle-bas de combat sur le terrain et laisse transparaître un embarras certain. Pour nombre d’observateurs, une telle fuite ne peut se produire sans complicités internes. Autrement dit, le système se fissure de l’intérieur.

Derrière cette affaire, c’est l’éternel duel entre les factions militaires et sécuritaires d’un côté, et les cercles politico-économiques de l’autre, qui refait surface, sapant encore un peu plus le discours d’une supposée “Algérie nouvelle”.

Des répercussions à l’intérieur comme à l’extérieur

La fuite de Nacer el-Djinn survient alors que le pays traverse une conjoncture délicate , difficultés économiques, mécontentement social croissant, défiance vis-à-vis des institutions. Sur le plan international, ce fiasco sécuritaire ébranle l’image d’un partenaire fiable en matière de lutte contre le terrorisme et la migration clandestine. Comment convaincre Bruxelles ou Washington de la solidité de l’État algérien, lorsque ses propres généraux échappent à la vigilance de leurs geôliers ?

Un incident isolé ou symptôme d’un mal profond ?

La grande question demeure , cette fuite est-elle un simple accident, fruit de négligences, ou bien l’expression d’un rapport de force entre clans rivaux au sommet ?

La réponse déterminera non seulement le sort du général fugitif, mais aussi l’avenir immédiat d’un régime dont les fragilités internes apparaissent désormais au grand jour. Si le cas Nacer el-Djinn n’est que la partie émergée de l’iceberg, l’Algérie pourrait entrer dans une zone de turbulences politiques et sécuritaires encore plus périlleuses.

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