La fuite spectaculaire d’un général algérien révèle les failles du système sécuritaire
Youssef Lefrej
L’Algérie vit depuis quelques jours au rythme d’un séisme politique et sécuritaire inédit, après la fuite spectaculaire du général Abdelkader Haddad, dit « Nasser el-Djinn », ancien directeur de la sécurité intérieure. Assigné à résidence depuis plusieurs mois, l’officier a réussi à échapper à sa surveillance, plongeant le sommet de l’État dans l’embarras et réveillant des souvenirs douloureux de l’ère de la « décennie noire » des années 1990.
Une capitale sous haute tension
Selon plusieurs sources locales et internationales, dont Le Monde, Alger et sa périphérie ont connu jeudi et vendredi derniers un déploiement sécuritaire exceptionnel , barrages routiers sur les principaux axes, patrouilles de police et d’unités de l’armée appuyées par des agents en civil, tandis que des hélicoptères militaires survolaient la capitale. Une mise en scène digne d’une chasse à l’homme de grande ampleur, alors que la cible n’était autre qu’un seul homme , un général rompu aux arcanes de l’appareil sécuritaire.
Ascension fulgurante, chute brutale
La trajectoire de Nasser el-Djinn au sein des services fut rapide. Nommé en juillet 2024 à la tête de la Direction générale de la sécurité intérieure, il s’était imposé comme l’un des responsables les plus influents et les plus proches du président Abdelmadjid Tebboune. Mais son limogeage soudain en mai 2025, moins d’un an plus tard, a nourri les spéculations sur des rivalités entre clans du pouvoir, d’autant qu’il était réputé proche de cercles puissants au sein de l’armée.
Après sa destitution, l’officier fut transféré successivement à la prison militaire de Blida puis à celle de Béchar, avant d’être placé sous résidence surveillée stricte dans une villa huppée du quartier de Dely Ibrahim. Sa fuite en dépit de ce dispositif draconien représente un camouflet inédit pour les services de sécurité, soulevant des interrogations sur leur capacité à contrôler leurs propres anciens hauts gradés.
Une figure de l’ombre aux secrets encombrants
Nasser el-Djinn n’est pas un simple officier retraité. Il est décrit comme l’un des hommes de l’ombre du régime. D’après plusieurs enquêtes médiatiques, il aurait dirigé le fameux « centre Antar », lié à des interrogatoires sensibles qui avaient suscité des critiques des ONG de défense des droits humains. Autant dire que sa cavale prend une dimension explosive , l’homme détient des secrets susceptibles d’ébranler les équilibres internes du pouvoir.
Un pouvoir déboussolé
Face à l’onde de choc, le Haut Conseil de sécurité s’est réuni en session extraordinaire, sans qu’aucune information n’ait filtré sur ses conclusions. Pour de nombreux observateurs, une telle fuite n’aurait pas été possible sans complicités internes, mettant en lumière les fissures d’un appareil d’État réputé opaque mais jusque-là craint pour sa cohésion.
Cette crise intervient dans un contexte déjà tendu , perte de confiance de la population, crispations sociales et pressions régionales, du Sahel à la Libye. Dans ce climat, l’affaire dépasse largement le cadre d’une « cavale individuelle » pour incarner le bras de fer entre différentes factions du pouvoir – militaires, sécuritaires, mais aussi politiques et économiques.
Une image écornée à l’international
Les répercussions pourraient dépasser les frontières. L’Algérie, partenaire clé de l’Union européenne dans la lutte contre le terrorisme et les flux migratoires, risque de voir son image ternie. La fuite d’un général de premier plan, qui plus est détenteur de dossiers sensibles, sera perçue comme un signe de fragilité institutionnelle inquiétante.
Entre incident et recomposition du pouvoir
Alors que les recherches se poursuivent, une question domine , s’agit-il d’un simple raté sécuritaire qui sera rapidement maîtrisé, ou bien du signe avant-coureur d’un affrontement ouvert entre clans, susceptible de remodeler en profondeur les équilibres du pouvoir en Algérie ?