Casablanca sur les rails du futur : quand Mohammed VI trace la voie d’un Maroc moderne
Par Bouchaib El Bazi
Mercredi, le roi Mohammed VI a donné le coup d’envoi à Casablanca d’un vaste programme ferroviaire évalué à 20 milliards de dirhams (environ 2 milliards de dollars). Ce chantier colossal s’inscrit dans une stratégie nationale ambitieuse visant à moderniser les infrastructures de transport et à renforcer le développement économique et social du pays, particulièrement dans sa métropole économique.
Casablanca, cœur battant de l’économie marocaine, souffre depuis des années d’un paradoxe , une croissance démographique et urbaine fulgurante mais une mobilité urbaine saturée. Embouteillages chroniques, pollution étouffante et perte de productivité sont devenus le quotidien des Casablancais. Le projet royal vient précisément répondre à ce défi , créer une nouvelle respiration urbaine grâce à un réseau ferroviaire repensé, moderne et durable.
Selon l’universitaire Rachid Laaraj, spécialiste en sciences politiques, cet investissement « dépasse la simple modernisation technique ». Il s’agit d’un choix souverain, à la croisée de plusieurs objectifs , réduction des inégalités territoriales, renforcement de la compétitivité économique et affirmation du rôle du Maroc comme hub régional.
Les composantes du projet parlent d’elles-mêmes , trois gares principales de nouvelle génération, dix nouvelles gares pour le réseau périurbain, 260 kilomètres de lignes ferroviaires supplémentaires, cinquante ouvrages d’art et l’acquisition de 48 trains modernes. À cela s’ajoute la construction d’ateliers de maintenance et la mise en place de centres techniques stratégiques à Zenata et Nouaceur.
Un autre signal fort est donné avec l’installation d’une unité industrielle de la société sud-coréenne Hyundai Rotem au Maroc, appelée à devenir une locomotive industrielle pour l’écosystème ferroviaire national. Une initiative qui ouvre la voie à la montée en puissance des compétences locales et, à terme, à l’exportation.
Une ambition africaine assumée
Pour Rachid Sari, expert en stratégie et numérique, « l’horizon de ce projet ne se limite pas à Casablanca ». L’ambition est claire , étendre le réseau jusqu’aux provinces du Sud et, au-delà, renforcer les connexions vers le reste du continent africain. Le Maroc, déjà pionnier avec le TGV, confirme ainsi sa vocation de passerelle entre l’Europe et l’Afrique.
Cependant, ce volontarisme se heurte à un défi majeur , l’insuffisante intégration des industries locales. Le recours à l’expertise étrangère, inévitable à court terme, doit progressivement céder la place à une montée en puissance des ingénieurs, techniciens et entreprises marocaines. Autrement, l’élan industriel resterait incomplet.
Mon regard de journaliste
En tant que journaliste, je vois dans ce chantier une véritable déclaration politique. Derrière le béton, l’acier et les chiffres mirobolants, c’est une vision qui s’affirme , celle d’un Maroc qui ne veut plus subir son urbanisation, mais la maîtriser et l’orienter.
Il est clair que ces projets ne sont pas seulement des infrastructures ; ils sont des instruments de souveraineté. Ils traduisent une conviction , pour exister dans le concert des nations, le Maroc doit se doter d’infrastructures dignes des grandes puissances émergentes. Casablanca, souvent critiquée pour son désordre urbain, pourrait ainsi devenir le laboratoire d’un nouveau modèle de ville africaine , connectée, fluide, durable.
Mais restons lucides , le succès de cette vision dépendra de la capacité du Maroc à accompagner l’investissement matériel par un investissement humain. Sans formation solide, sans appropriation nationale des savoir-faire, les trains flambant neufs risqueraient de circuler sur des rails importés, sans créer de valeur locale durable.
En définitive, ce projet ferroviaire illustre l’essence même de la stratégie royale , bâtir un Maroc des infrastructures qui soit aussi un Maroc des opportunités. Il appartient désormais aux institutions, aux collectivités et au secteur privé de transformer cette impulsion en dynamique partagée. Car sur les rails de Casablanca se joue bien plus qu’un projet urbain , c’est l’avenir d’un pays qui s’écrit, à grande vitesse.