Rabat — Les 28 et 29 septembre 2025 ont marqué une date singulière dans le paysage social marocain , des milliers de jeunes se sont rassemblés sous l’étiquette de la « Génération Z », brandissant des slogans en faveur de la justice sociale, de la réforme de l’éducation, de l’amélioration du système de santé et de la lutte contre la corruption.
Si certaines manifestations se sont déroulées pacifiquement, d’autres ont basculé dans la violence et les dégradations, entraînant l’intervention des forces de l’ordre et l’ouverture d’un débat national sur les modes d’expression de cette nouvelle génération.
Des revendications anciennes, une génération nouvelle
Les doléances brandies par les manifestants ne sont pas inédites , qualité défaillante des services publics, crise structurelle de l’enseignement, hôpitaux saturés, corruption persistante… Ces thèmes nourrissent la contestation sociale depuis des années, notamment à travers les grèves des enseignants et les mobilisations des étudiants en médecine.
La nouveauté, selon plusieurs observateurs, réside dans le profil des protestataires , une jeunesse hyperconnectée, née entre 1997 et 2012, qui a quitté ses « chambres numériques » pour investir l’espace public.
Le témoignage du Dr Abdellah Boussouf : « de l’espace numérique à l’espace public »
Pour comprendre ce basculement, nous avons sollicité l’analyse du Dr Abdellah Boussouf, intellectuel et fin connaisseur des dynamiques sociales :
« La Génération Z, que j’appelle parfois le “génération anxieuse”, a grandi dans une succession de crises , la récession de 2009, la pandémie du Covid-19 et ses séquelles psychologiques, les guerres, l’inflation, le dérèglement climatique. Elle vit entre anxiété, isolement et recherche d’appartenance. Mais voilà qu’elle franchit le pas, passant de l’ombre des salles de jeux et des réseaux sociaux à la lumière de l’espace public. »
Le Dr Boussouf insiste , les demandes de cette jeunesse — santé, éducation, gouvernance — sont des droits constitutionnels légitimes. Mais leur irruption soudaine, sans encadrement organisé ni structures représentatives, pose la question d’un encadrement institutionnel manquant.
Entre l’écran et la rue : une translation accélérée
La Génération Z marocaine a emprunté les mêmes codes que ses homologues européens ou latino-américains , organisation via les réseaux sociaux, diffusion rapide des mots d’ordre, absence de leader identifié, et une forte capacité de mobilisation.
Cette horizontalité séduit mais inquiète , elle rend le mouvement difficile à canaliser et ouvre la porte à des manipulations extérieures, par le biais de vidéos sorties de leur contexte ou de campagnes d’intox ciblant l’image du Maroc à l’international.
L’équation délicate : fermeté ou écoute ?
Face aux débordements, les autorités ont privilégié une réponse sécuritaire afin de protéger les biens et garantir l’ordre public. Mais, comme le souligne le Dr Boussouf, réduire l’affaire à un bras de fer policier serait une erreur stratégique.
Quatre axes apparaissent comme essentiels :
- Assurer la sécurité et l’ordre public tout en préservant le droit à la manifestation pacifique.
- Déployer de vraies politiques de jeunesse , insertion professionnelle, maisons de jeunes actives, programmes culturels adaptés aux attentes numériques de cette génération.
- Accélérer les réformes dans la santé et l’éducation, en apportant des preuves concrètes d’avancées et non de simples promesses.
- Encadrer l’espace numérique, non par la censure mais par la régulation, la prévention des intox et l’éducation aux médias.
Transformer le cri en projet
La « Génération Z » marocaine ne fait qu’exprimer, parfois dans le chaos, ce que d’autres générations ont dit avant elle , la soif de dignité, d’égalité et de perspectives d’avenir.
La différence est qu’elle le fait à la vitesse de l’algorithme, avec les armes du numérique et une énergie débordante.
Le défi pour l’État et la société civile est clair , ne pas étouffer ce cri dans la répression, mais le canaliser dans des politiques crédibles et inclusives. Comme le résume le Dr Boussouf :
« Il ne s’agit pas d’un caprice de jeunesse. C’est une alerte. Et elle doit trouver écho dans des réponses concrètes, capables de ramener nos jeunes des “chambres obscures” du virtuel vers l’espace lumineux de la citoyenneté active. »