Les protestations de la “Génération Z” au Maroc : entre légitimité des revendications et risques de dérives
Rom Mdaghri
Les manifestations menées récemment par des jeunes de la “Génération Z” dans plusieurs villes marocaines ont remis au premier plan la question sensible des rapports entre l’État et une jeunesse en quête de reconnaissance. Ces mobilisations, pacifiques dans leurs débuts et axées sur des revendications sociales – santé, éducation, droit à une vie digne – ont rapidement basculé, dans certains cas, vers des actes de violence et de vandalisme, suscitant à la fois inquiétude et débat national.
Le dialogue comme première réponse
La décision du chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, d’appeler au dialogue avec les jeunes protestataires a été saluée par de nombreux observateurs comme un signe positif. Elle traduit une reconnaissance implicite de la légitimité des revendications et offre une porte d’entrée pour retisser des liens de confiance avec une jeunesse souvent convaincue que les institutions – gouvernement comme parlement – demeurent sourdes à ses préoccupations.
Une volonté de se démarquer de la violence
Fait notable, plusieurs groupes de manifestants ont publiquement pris leurs distances vis-à-vis des actes de violence et de dégradation, insistant sur le caractère pacifique de leur mobilisation. Ce choix stratégique vise à couper court aux tentatives de récupération du mouvement, en interne comme à l’international, et à préserver la crédibilité des revendications sociales face aux accusations de déstabilisation.
Le rôle ambigu du numérique
Toutefois, les autorités et le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) ont mis en garde contre l’usage massif des réseaux sociaux pour amplifier ou manipuler les événements. De nombreux comptes récemment créés, parfois basés à l’étranger, ont été identifiés comme sources de contenus mensongers, d’appels explicites à la violence et même de menaces à l’encontre de responsables publics.
Pour Hassan Kharchouj, expert en cybersécurité, « le danger ne réside pas seulement dans le piratage technique, mais aussi dans l’intrusion intellectuelle », à savoir l’orientation des débats vers la haine et la confrontation, un phénomène rendu d’autant plus difficile à contenir que les plateformes comme Discord ou TikTok sont très prisées par les jeunes.
Un bilan lourd et une alerte sociale
Selon le ministère de l’Intérieur, les affrontements ont fait trois morts et 354 blessés, en plus de l’incendie de 446 véhicules et du saccage de 80 établissements publics et privés dans 23 provinces. La donnée la plus préoccupante reste l’implication massive de mineurs , entre 70 et 100 % des fauteurs de troubles identifiés appartiendraient à cette tranche d’âge. Un constat qui souligne l’ampleur des défis éducatifs et sociaux.
Une expression démocratique sous tension
Pour Nabîl El Andaloussi, directeur du Centre maghrébin d’études stratégiques, ces manifestations traduisent une vitalité démocratique et l’aspiration des jeunes à plus de justice sociale. Mais ce droit d’expression, rappelle-t-il, « ne peut être dissocié de la responsabilité , il s’agit de préserver le caractère pacifique de la mobilisation et de la protéger de toute instrumentalisation visant à fragiliser la stabilité nationale ».
Entre écoute et réformes structurelles
Les événements récents révèlent un besoin urgent d’instituer des canaux de dialogue formels et crédibles entre les jeunes et les institutions. Plus encore, ils appellent à des politiques publiques courageuses dans les domaines cruciaux de l’éducation, de la santé et de l’emploi. Car si le dialogue est une première étape nécessaire, seule une réforme structurelle, tangible et équitable peut apaiser durablement les frustrations d’une génération entière et contrer les agendas de manipulation.