Les “Pieds Blancs” : l’héritage invisible du pouvoir algérien entre colonialisme et autoritarisme

Bouchaib El Bazi

l’Algérie et la question du véritable pouvoir

Pour qui prend le temps d’observer l’“autre monde” qu’est l’Algérie, une question s’impose , qui détient réellement le pouvoir ?

Derrière les slogans révolutionnaires et le vernis du nationalisme officiel, se cache une élite opaque, issue de l’héritage colonial français, connue sous le nom des “Pieds Blancs”.

Ces derniers, loin d’avoir quitté l’Algérie après les accords d’Évian de 1962, ont su se réinventer au sein du nouvel État indépendant, en tissant des alliances avec l’armée et la haute bureaucratie, formant ainsi le véritable noyau du pouvoir réel.

Une élite sans attache affective à la terre, mais persuadée d’en être la propriétaire légitime. Le reste du peuple ? Des “étrangers” chez eux, des Indiens d’Amérique dans leur propre pays, des Aborigènes d’une géographie fabriquée.

Origines historiques : la métamorphose du colonialisme

Selon Ahmed Ben Habouch, auteur de « L’Algérie postcoloniale », les “Pieds Blancs” ne sont pas uniquement des colons français restés après l’indépendance, mais un mélange complexe d’Européens – Français, Italiens, Maltais, Espagnols, Portugais – auxquels s’ajoutent des minorités juives et tsiganes, installées en Afrique du Nord depuis l’époque de la dynastie fatimide venue d’Orient.

Ce tissu composite, parfaitement intégré dans la société locale par la langue et les coutumes, a su préserver ses connexions historiques et économiques avec l’Europe, notamment avec les réseaux d’affaires français.

Lorsque le colonisateur officiel s’est retiré, cette élite a glissé dans le vide du pouvoir, s’alliant avec l’armée des frontières pour ériger un État hybride :

un régime militaire au vernis révolutionnaire, administré par des technocrates héritiers du système colonial.

Dimension politique : la reproduction du pouvoir caché

Le chercheur Mohamed Ziyada, dans « Classe politique et État en Algérie », démontre comment cette élite a consolidé son emprise en contrôlant les institutions clés , justice, administration, sécurité.

Elle a su transformer la faiblesse institutionnelle en outil de domination, manipulant les clivages idéologiques et ethniques pour maintenir la société divisée.

Les rapports du Carnegie Middle East Center (2023) soulignent que cette structuration informelle du pouvoir a bloqué toute transition démocratique, en transformant l’État en système d’oligarchie militaro-économique.

De son côté, Transparency International met en lumière le maillage du clientélisme et de la corruption, véritable ciment du régime, où la loyauté prime sur la compétence et où l’intérêt public s’efface derrière les rentes pétrolières.

Dimension économique et sociale : la richesse confisquée

Les “Pieds Blancs” contrôlent les secteurs vitaux de l’économie algérienne, principalement le pétrole et le gaz, poumons financiers de l’État.

Ce contrôle absolu nourrit un système de dépendance et de rente, verrouillant tout élan de développement autonome.

Les conséquences sont visibles , chômage structurel, pauvreté rurale, inégalités régionales, et une jeunesse privée de perspectives.

Dans un pays riche en ressources, la majorité vit dans la précarité, pendant qu’une minorité opaque, issue du vieux moule colonial, profite de la manne nationale sous couvert de “protection militaire”.

Analyse critique : le colonialisme intérieur

L’Algérie indépendante a simplement changé de visage, non de nature. Le colonialisme n’a pas disparu , il s’est intériorisé. Les “Pieds Blancs” incarnent une forme de colonialisme administratif et économique, dissimulée derrière la rhétorique patriotique.

Leur fusion avec les réseaux militaires crée un pouvoir auto-reproductif, immunisé contre la réforme, fondé sur la peur et la désinformation.

La difficulté de les identifier sociologiquement renforce leur pouvoir , ils se fondent dans la population, mais contrôlent les leviers essentiels — économie, sécurité, justice, diplomatie.

Le résultat , un État sans souveraineté effective, prisonnier de ses propres élites, et un peuple tenu à distance de la décision politique.

Quand l’histoire distingue les nations

À l’est du Maghreb, l’Algérie s’enferme dans une continuité coloniale maquillée, tandis qu’à l’ouest, le Maroc poursuit un modèle de stabilité enraciné dans l’histoire.

La monarchie marocaine, ou “Takldant” en amazigh, représente plus qu’un système de pouvoir , une sagesse civilisationnelle.

Le roi — Aklīd — joue depuis des siècles le rôle d’arbitre entre les tribus libres (Imazighen), garantissant l’équilibre entre autorité et liberté.

L’épisode du sultan Moulay Slimane au XIXe siècle, qui sut affronter la dissidence sans vengeance mais avec respect, illustre cette tradition d’État fondée sur la légitimité morale et la reconnaissance mutuelle.

C’est cette philosophie politique qui explique pourquoi le Maroc demeure debout, quand d’autres régimes s’effritent sous le poids de leurs contradictions.

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