La République en apnée : la chute express du gouvernement Lecornu et le crépuscule du macronisme

Bouchaib El Bazi

Il aura suffi de quatorze heures. Quatorze petites heures entre la nomination du gouvernement de Sébastien Lecornu, septième sous Emmanuel Macron, et sa chute annoncée, le 6 octobre dernier. Une performance inédite dans l’histoire politique de la Ve République, qui illustre la décomposition avancée d’un pouvoir présidentiel prisonnier de ses contradictions.

Lecornu, loyal serviteur de l’État et proche du chef de l’État, n’aura même pas eu le temps de s’asseoir dans le fauteuil de Matignon. Dès l’annonce de la composition de son équipe, la déflagration fut immédiate , déception dans les rangs de la majorité, colère chez les Républicains et ironie amère dans l’opposition. C’est pourtant depuis les bancs mêmes de la coalition présidentielle qu’est venue la première salve , Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur tout juste reconduit, a posté sur X un message lapidaire – « La composition du gouvernement ne traduit pas la rupture annoncée » – avant de convoquer dans la foulée le comité stratégique de son parti. La phrase tenait lieu de verdict. Lecornu comprit aussitôt qu’il venait de présider le gouvernement le plus éphémère de la République.

Le retour des “vieux visages” : le faux pari de la continuité

Ce qui devait être un tournant politique s’est transformé en répétition générale. En rappelant Bruno Le Maire au ministère de la Défense, Emmanuel Macron a cru pouvoir rassurer le centre droit et stabiliser son socle. Mais c’est l’effet inverse qui s’est produit. Ancien pilier des Républicains, Le Maire symbolise pour beaucoup l’incarnation d’un pouvoir technocratique, comptable d’une dette publique vertigineuse et d’une austérité budgétaire qui a miné la confiance sociale.

Autour de lui, les mêmes figures usées — Gérald Darmanin, Éric Dupond-Moretti — composent un attelage politique déjà éprouvé par sept années de crises, de réformes impopulaires et d’échecs électoraux. En somme, un recyclage du macronisme fatigué, davantage qu’un nouveau souffle.

Les alliés se détournent du Président

Le malaise s’étend au-delà des clivages partisans. Gabriel Attal, dernier Premier ministre avant la dissolution de 2024 et chef du parti présidentiel Renaissance, a pris ses distances :

« Je ne comprends plus les décisions du Président. Depuis la dissolution, il semble vouloir tout contrôler, tout décider seul. »

Même Édouard Philippe, fidèle parmi les fidèles, a franchi le Rubicon. Le fondateur du parti Horizons plaide désormais pour une présidentielle anticipée, estimant que la France ne peut plus être gouvernée dans ces conditions. Pour Emmanuel Macron, c’est un désaveu cinglant, d’autant plus qu’il vient de ses anciens premiers ministres.

Trois scénarios, une impasse

À l’Élysée, trois options s’offrent à un président de plus en plus isolé :

  1. La solution de compromis. Nommer une personnalité de consensus, capable de rallier Républicains, centristes et sociaux-démocrates. Une hypothèse de “cohabitation douce”, qui permettrait à la République de respirer jusqu’en 2027. Peu probable, tant le président répugne à partager le pouvoir.
  2. Le pari des urnes. Dissoudre à nouveau l’Assemblée nationale – possible depuis le 9 juin 2025 – et convoquer des législatives anticipées. Mais ce saut dans le vide pourrait renforcer le Rassemblement national et fragiliser davantage la majorité présidentielle. Une France tripolaire (centre, extrême droite, gauche radicale) n’offrirait qu’une paralysie institutionnelle durable.
  3. Le scénario dramatique. Une démission programmée du chef de l’État, ouvrant la voie à une présidentielle anticipée. Une hypothèse que Jean-Luc Mélenchon brandit comme ultime recours démocratique, mais que peu jugent réaliste.

Le crépuscule d’un cycle

Emmanuel Macron se retrouve aujourd’hui encerclé : par son propre orgueil, par la lassitude des électeurs, et par l’usure d’un pouvoir qui n’a plus de récit. Celui qui promettait de “dépoussiérer la politique” incarne désormais le vide d’un système à bout de souffle, sans majorité stable, sans relais populaire, sans horizon clair.

La France traverse une séquence politique d’une rare mélancolie. L’époque des grandes figures — De Gaulle, Mitterrand, Chirac — semble révolue. Reste un pays fragmenté, désabusé, où l’alternative se résume à l’extrême droite ou à la colère sociale. Et dans cette République en apnée, le macronisme, jadis promesse de renouveau, n’est plus qu’un écho lointain.

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