Sommet de Charm el-Cheikh : l’Égypte sur le point de céder à la « nouvelle version » du Deal du siècle ?
Par Bouchaib El Bazi – Analyse géopolitique
Charm el-Cheikh s’apprête à accueillir, une fois encore, l’une des réunions les plus sensibles de l’histoire récente du Moyen-Orient. Officiellement, il s’agit d’un « sommet pour la paix », destiné à « restaurer la stabilité dans la région ». En réalité, c’est une rencontre décisive où se joue, en coulisse, la relance d’un projet ancien sous un nouveau visage , celui d’un transfert partiel des Palestiniens vers le désert du Sinaï.
Entre refus public et pressions discrètes
Depuis que l’idée d’« étendre Gaza vers le sud » a refait surface en 2018, l’Égypte a toujours affiché un refus catégorique. Pour Le Caire, accepter un tel scénario reviendrait à compromettre sa souveraineté et à ouvrir une brèche explosive dans l’équilibre interne du pays.
Mais la donne économique pèse lourd. Le soutien financier que l’Égypte reçoit des États-Unis et de l’Arabie saoudite s’accompagne de conditions implicites , davantage de « coopération » dans la gestion de la crise humanitaire de Gaza, et surtout dans la réorganisation démographique post-conflit. Derrière la rhétorique de la paix se dessine la tentation d’un déplacement forcé, déguisé en assistance humanitaire.
Un sommet pour la paix… ou pour le transfert ?
Le communiqué officiel de la présidence égyptienne parle d’« une nouvelle ère de stabilité ». Pourtant, selon plusieurs diplomates arabes, l’enjeu central du sommet de lundi est bien plus concret , que faire des centaines de milliers de Palestiniens sans abri dans une bande de Gaza détruite à plus de 90 % ?
Washington, soutenue par Riyad, pousserait pour la création d’une « zone humanitaire temporaire » dans le nord du Sinaï, financée par le Golfe, qui pourrait se transformer en implantation permanente sous supervision internationale. Autrement dit, un glissement discret vers la version 2.0 du « Deal du siècle ».
Le chantage de l’aide internationale
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche remet l’Égypte au centre du jeu américain. L’administration républicaine sait pertinemment que le pouvoir du président Abdel Fattah al-Sissi, fragilisé par une crise économique sans précédent, ne peut se permettre de froisser ses principaux bailleurs de fonds.
Riyad, de son côté, espère consolider son rôle de médiateur régional et obtenir, en échange, des garanties stratégiques américaines. Le Caire, pris en étau entre une opinion publique farouchement opposée à tout projet touchant au Sinaï et des pressions financières écrasantes, risque de devoir troquer la fermeté diplomatique contre une flexibilité calculée.
Gaza, entre ruines et désespoir
Pendant que les dirigeants se préparent à négocier l’avenir, plus d’un demi-million de Palestiniens ont déjà regagné les décombres de Gaza depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu.
Les chiffres donnent le vertige , plus de 67 000 morts, selon des sources onusiennes, et une ville où 92 % des bâtiments ont été détruits. Pour les habitants, chaque retour est un acte de résistance symbolique face à un projet régional qui semble vouloir les effacer du paysage politique.
Le Deal du siècle, retour par la porte de service
Rien ne se perd en politique, tout se recycle. Le « Deal du siècle » de 2020, enterré après l’échec du premier mandat de Trump, refait surface sous un habillage plus « pragmatique ».
Cette fois, pas de déclaration tonitruante, mais un processus graduel , création de zones sécurisées, supervision internationale, promesses d’aide économique… et, à terme, transformation silencieuse du statut du Sinaï.
Des sources diplomatiques évoquent déjà la possibilité d’une force multinationale stationnée à Rafah pour « accompagner la reconstruction » — un dispositif qui pourrait devenir permanent, avec ou sans l’aval officiel du Parlement égyptien.
Le Sinaï, une ligne rouge identitaire
Pour l’armée égyptienne, le Sinaï n’est pas une simple province : c’est un symbole. L’accepter comme terrain d’expérimentation politique reviendrait à trahir la mémoire des guerres de 1967 et 1973.
Les généraux égyptiens savent que tout projet de réinstallation, même sous couvert humanitaire, risque d’alimenter l’insurrection locale et de fragiliser le pacte national.
C’est pourquoi, selon plusieurs analystes, la bataille diplomatique qui se jouera à Charm el-Cheikh sera moins une question de paix qu’un test de souveraineté.
Le sommet du 13 octobre ne sera pas seulement celui de la « fin de la guerre à Gaza » ; il marquera peut-être le début d’une recomposition régionale où la question palestinienne serait définitivement déterritorialisée.
L’Égypte acceptera-t-elle de devenir la clé logistique du nouveau Moyen-Orient voulu par Washington et Tel-Aviv ?
La réponse se lira, comme souvent, non pas dans les discours, mais dans la formulation du communiqué final.