Tebboune face à ses généraux : un discours de défiance, d’obsession et de désarroi
Majdi Fatima Zahra
Jeudi dernier, dans une allocution aux accents martiaux prononcée devant les hauts gradés de l’armée au ministère de la Défense nationale, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a renoué avec son exercice favori , ressasser le Maroc, le Sahara et les « ennemis extérieurs » supposés de l’Algérie. Fidèle à sa rhétorique de confrontation, il a réaffirmé que les frontières entre les deux pays voisins resteront « totalement fermées » et que l’Algérie « ne lâchera jamais » les séparatistes du Polisario. Cette fois, il a même ajouté un nouvel adversaire à sa liste , les Émirats arabes unis, accusés de « semer le désordre dans la maison algérienne ».
Le retour à la vieille musique : Maroc, Sahara, et paranoïa diplomatique
Après un silence remarqué sur le Maroc lors de son dernier entretien télévisé fin septembre, Tebboune semblait vouloir rompre avec la logorrhée anti-marocaine qui caractérise ses interventions. Mais il n’aura pas tenu longtemps. Devant ses parrains en uniforme, il est revenu à ses vieux démons.
Le chef de l’État, visiblement soucieux de rassurer ses généraux, a cité le dossier du Sahara à trois reprises, dans un parallèle aussi bancal qu’absurde avec la cause palestinienne. En liant les deux questions, Tebboune a une fois encore démontré la confusion idéologique qui domine la diplomatie algérienne, où la posture de « libération » sert surtout de diversion intérieure.
Au moment d’aborder la question du Sahara, son visage s’est crispé. Le ton s’est durci. Il a répété la formule qu’il affectionne , le Sahara serait une « question de décolonisation » encore pendante à l’ONU. Oubliant au passage ses propres déclarations antérieures, dans lesquelles il reconnaissait que ce territoire avait été décolonisé en 1975. Car si l’Espagne devait encore « assumer ses responsabilités », comme il le répète, cela reviendrait à demander une recolonisation pure et simple — un non-sens diplomatique.
Le fantasme de « l’autodétermination » face au consensus onusien
En reconnaissant que la communauté internationale travaille à une solution politique, Tebboune dit espérer qu’elle se fera « dans le cadre de l’autodétermination ». Or, cette option a été écartée depuis longtemps par le Conseil de sécurité, au profit du plan d’autonomie proposé par le Maroc, soutenu par une large majorité de pays.
Ce que le président algérien feint d’ignorer, c’est que la diplomatie mondiale ne se laisse plus abuser par la fiction du référendum, désormais obsolète. Son entêtement relève donc moins de la conviction que de la posture , celle d’un chef d’État qui doit, à tout prix, conserver le soutien d’une hiérarchie militaire attachée à ses mythes fondateurs.
Un président sous tutelle qui parle à ses maîtres
La scène en elle-même était révélatrice , un président « reçu » au ministère qu’il dirige, accueilli avec tapis rouge, hymne national et haie d’honneur comme un visiteur étranger. Cette mise en scène, d’une ironie cruelle, a confirmé ce que beaucoup d’Algériens savent déjà , Abdelmadjid Tebboune n’est pas le maître du jeu. Il est le messager d’un système militaire qui l’a installé à El Mouradia et auquel il doit tout.
Dans son long monologue, ponctué de chiffres fantaisistes et de promesses industrielles sans fondement, Tebboune a surtout cherché à flatter ses interlocuteurs en uniforme. Il a vanté « l’armée du développement », prétendant que les militaires seraient à l’origine de l’industrialisation du pays. Une affirmation que dément la réalité économique , malgré des budgets dépassant les 25 milliards de dollars par an, l’armée algérienne ne produit même pas un écrou.
Des menaces, des illusions et des ennemis imaginaires
Face au Maroc, Tebboune a brandi la menace , « Celui qui veut menacer, insulter… n’a qu’à le faire », avant de jurer que l’Algérie « ne se départira jamais de son soutien aux Sahraouis ». Il a ajouté, d’un ton bravache, que « tant qu’il sera en vie, personne ne leur imposera une solution ».
Mais cette déclaration, loin d’impressionner, révèle la fragilité d’un régime enfermé dans une logique de confrontation qu’il ne maîtrise plus. En évoquant un soutien « jusqu’à la mort », Tebboune parle moins en chef d’État qu’en otage d’un système idéologique à bout de souffle.
Son passage contre les Émirats arabes unis a ajouté une touche de surréalisme , sans les nommer directement, il a accusé un « pays du Golfe » d’ingérence et de « semer le désordre ». Il n’en fallait pas plus pour déclencher une riposte diplomatique d’Abou Dhabi. En s’en prenant à un partenaire stratégique du monde arabe, Tebboune démontre à quel point l’Algérie s’isole, se fâchant tour à tour avec le Maroc, la Tunisie, le Mali, la France, et désormais les Émirats.
Entre autosuffisance imaginaire et déni du réel
La dérive verbale ne s’est pas arrêtée là. Evoquant l’agriculture, Tebboune a fanfaronné que l’Algérie est désormais « autosuffisante », ajoutant qu’autrefois, « on importait même des oignons d’Afrique ». Une phrase perçue comme méprisante sur le continent, surtout après les récentes tensions avec le Mali à l’ONU.
Le président a aussi promis que d’ici 2026, l’Algérie deviendra « entièrement informatisée », et qu’elle produira « 10 millions de tonnes de phosphates » par an. Des chiffres sortis de nulle part, qui relèvent davantage de la fiction que de la planification économique.
Un message de guerre froide dans un pays à bout de souffle
Au fond, le discours de Tebboune n’était pas destiné à la nation, mais à l’armée. Il s’agissait d’un exercice de loyauté, un serment renouvelé devant les véritables détenteurs du pouvoir. En martelant son refus de toute médiation avec le Maroc, en fermant la porte à la réouverture des frontières, et en diabolisant les partenaires arabes, Tebboune s’isole un peu plus sur la scène régionale.
Son discours sonne comme celui d’un régime qui s’accroche à ses mythes parce qu’il ne peut plus proposer de perspectives à son peuple. L’Algérie, malgré ses immenses ressources, reste prisonnière d’une rhétorique de guerre froide que plus personne ne prend au sérieux.
En définitive, ce discours illustre la triple impasse du régime algérien , diplomatique, économique et symbolique. Abdelmadjid Tebboune, qui prétend incarner la souveraineté nationale, ne fait que réciter le catéchisme d’une junte en perte de repères. Face à un Maroc en pleine dynamique de développement et à une communauté internationale qui privilégie la solution politique du plan d’autonomie, l’Algérie s’enferme dans une posture d’opposition stérile.
Ce jeudi-là, à Alger, le président n’a pas parlé en homme d’État. Il a parlé en porte-voix des casernes — celles-là mêmes qui, depuis 1962, décident de tout et empêchent l’Algérie d’avancer.