Sergueï Lavrov ouvre la porte à l’autonomie marocaine : un tournant discret mais stratégique dans la position russe sur le Sahara
Bouchaib El Bazi
À la veille des discussions du Conseil de sécurité de l’ONU, actuellement présidé par la Russie, sur un nouveau projet de résolution concernant la question du Sahara, Moscou vient d’envoyer un signal diplomatique fort.
Lors d’une rencontre avec des journalistes arabes, lundi à Moscou, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a déclaré que son pays était prêt à accueillir favorablement la proposition marocaine d’autonomie, si celle-ci émergeait d’un accord entre toutes les parties et sous supervision des Nations unies.
Pour de nombreux observateurs, ce positionnement inédit marque une inflexion notable dans la doctrine russe, longtemps attachée à la logique du “référendum d’autodétermination”. La Russie semble désormais s’aligner, avec prudence, sur la dynamique internationale qui soutient de plus en plus la proposition marocaine de 2007 comme base sérieuse et crédible de règlement.
De la rhétorique du référendum à la logique du réalisme
Ce qui frappe dans le discours de Lavrov, c’est la rupture de ton. Le chef de la diplomatie russe n’a pas répété la formule traditionnelle sur “le droit à l’autodétermination via un référendum”, préférant évoquer un cadre plus pragmatique ,
“La proposition d’autonomie marocaine peut réussir, à condition qu’elle soit acceptée par toutes les parties et sous l’égide de l’ONU”, a-t-il affirmé.
Reconnaissant que la situation a “évolué” depuis les premières années du conflit, Lavrov a ajouté ,
“Ce qui comptait autrefois, c’était l’organisation d’un référendum. Aujourd’hui, si la solution proposée par le Maroc est conforme aux résolutions des Nations unies et acceptée par tous, elle nous convient également.”
Un glissement sémantique lourd de sens, qui traduit un réalisme diplomatique nouveau , Moscou semble désormais disposée à considérer l’autonomie comme une forme contemporaine d’autodétermination, compatible avec le droit international et la stabilité régionale.
Une évolution conceptuelle assumée
Pour l’analyste politique et expert en relations internationales Hicham Mutadid, cette sortie de Lavrov représente “un signal structurant, révélateur d’une évolution doctrinale dans la vision russe du dossier saharien”.
Selon lui, cette inflexion s’inscrit dans une lecture géopolitique plus large où Moscou cherche à redéfinir son rôle dans le monde arabe et en Afrique, en conciliant légalité onusienne et pragmatisme stratégique.
“Lorsque Lavrov parle d’un ‘droit à l’autodétermination par le dialogue’ et non par des ‘actes unilatéraux’, il abandonne implicitement la conception classique du référendum pour se rapprocher de la logique marocaine”, explique Mutadid.
“Ce glissement lexical consacre une vision moderne de l’autodétermination , celle d’une autonomie négociée à l’intérieur de la souveraineté nationale.”
Un dialogue politique en accélération
Ce tournant diplomatique intervient dans un contexte de rapprochement bilatéral notable entre Rabat et Moscou.
Le 9 octobre, le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Vershinin a reçu à Moscou l’ambassadeur du Maroc, Lotfi Bouchaara, dans le cadre des consultations diplomatiques régulières. Les deux responsables ont insisté sur “le maintien d’une coordination étroite” et “le soutien mutuel aux solutions politiques et pacifiques des conflits régionaux”.
Un mois plus tôt, en septembre, Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères, s’était entretenu par téléphone avec Lavrov. Les deux chefs de la diplomatie avaient salué “le caractère constructif et respectueux” du dialogue politique bilatéral, soulignant la volonté commune d’approfondir la coopération dans un esprit d’amitié et de respect mutuel.
Un changement de climat international
Le repositionnement russe s’inscrit aussi dans une tendance mondiale où plusieurs puissances — États-Unis, France, Espagne, Allemagne — ont clairement apporté leur appui à la proposition marocaine d’autonomie.
Consciente de cette évolution, Moscou semble vouloir préserver sa crédibilité au sein du Conseil de sécurité en adoptant une posture équilibrée mais plus ouverte envers Rabat.
Un Maroc confiant, une Russie en repositionnement
Ce nouveau ton russe, mesuré mais significatif, illustre la capacité du Maroc à construire des partenariats équilibrés sans dépendre d’aucun camp. Il révèle aussi la volonté de Moscou de rester un acteur influent en Afrique du Nord, dans un contexte de compétition géopolitique accrue avec les puissances occidentales, la Chine et la Turquie.
En filigrane, le message adressé à Alger et au front Polisario est limpide , le discours figé du passé n’est plus tenable. L’heure est désormais aux solutions politiques réalistes, et la Russie semble prête à accompagner ce virage diplomatique.
L’ouverture exprimée par Sergueï Lavrov n’est pas qu’un ajustement de langage.
Elle consacre une mutation stratégique dans la lecture russe du conflit du Sahara, plaçant Moscou au centre des nouvelles équations diplomatiques au Maghreb.
À l’approche des délibérations du Conseil de sécurité, un constat s’impose .
le vent international souffle plus que jamais dans le sens de la proposition marocaine d’autonomie.