L’Algérie de Tebboune ou la chimie du miracle : quand le phosphate devient plus volatil que le gaz
Bouchaib El Bazi
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune n’a décidément pas fini de révolutionner la science économique… et le sens commun. Dans sa dernière apparition, toujours aussi théâtrale, le chef de l’État a solennellement annoncé que l’Algérie deviendrait, d’ici 2026, « le premier producteur mondial de phosphate ». Rien que ça. Un objectif si audacieux qu’il aurait presque fait rougir les ingénieurs de la NASA, et rire aux éclats les géologues de la planète entière.
Sur les réseaux sociaux, la nouvelle s’est répandue plus vite qu’un baril de pétrole sur les marchés internationaux. Les internautes algériens eux-mêmes, désormais experts en autodérision, se sont empressés de baptiser la promesse présidentielle , « le miracle phosphaté ». Un internaute ironise , « Dix millions de tonnes et nous voilà devant la Chine et le Maroc ! Tebboune vient d’inventer la physique économique quantique. » Un autre, plus corrosif encore, écrit , « En Algérie, le phosphate sort des discours, pas des mines. »
Le mensonge en chiffres : quand la géologie se venge
Car derrière la fanfare médiatique, les faits, eux, sont têtus. Selon le dernier rapport de l’US Geological Survey (USGS), la Chine reste le premier producteur mondial avec 90 millions de tonnes par an, suivie du Maroc, champion incontesté des réserves mondiales, avec 35 millions de tonnes extraites annuellement et un stock colossal estimé à 50 milliards de tonnes. L’Algérie, pour sa part, ne dépasse guère le million de tonnes, et son grand projet intégré de Tébessa n’a même pas encore commencé à produire.
Mais Tebboune, fidèle à son sens de la mise en scène, ne s’encombre ni de géologie ni de chronologie. Il promet un bond de production de 500 % en moins de deux ans, comme si la chimie industrielle se résumait à un décret présidentiel. Et pour couronner le tout, il annonce que les revenus du phosphate rivaliseront avec ceux des hydrocarbures — soit près de 40 milliards de dollars annuels. À ce rythme, on s’attend presque à ce qu’il déclare bientôt que l’Algérie exportera du lithium lunaire ou du pétrole solaire.
Des rêves miniers dans un désert industriel
Sur le terrain, la réalité est nettement moins phosphorescente. Le projet de Tébessa, censé symboliser la renaissance minière algérienne, végète encore au stade des études techniques. Les infrastructures de transport et les terminaux portuaires nécessaires à l’exportation ne sont pas achevés, et les investisseurs étrangers, rebutés par la bureaucratie et l’instabilité réglementaire, se font rares.
L’économiste Driss El Fina résume la situation avec mordant , « En Algérie, on produit surtout du discours brut. Le problème n’est pas le manque de ressources, mais la surexploitation de la parole. »
Le « miracle » des BRICS revisité
Dans le même souffle, Tebboune s’est félicité que son pays soit devenu un « grand contributeur » de la banque des BRICS. Une autre envolée lyrique qui a fait sourire les analystes , la contribution algérienne au New Development Bank (NDB) ne dépasse pas 614 millions de dollars, soit à peine 1,15 % du capital. À titre de comparaison, l’Égypte détient près du double, et les membres fondateurs — Chine, Inde, Russie, Brésil, Afrique du Sud — contrôlent plus de 75 % des droits de vote. Autant dire que le « géant » algérien siège à la table des grands… sur une chaise d’enfant.
La rhétorique du miracle économique permanent
Cette inflation verbale, qui tient lieu de politique économique, illustre une constante du régime algérien , faire de la promesse un mode de gouvernance. Chaque discours présidentiel ressemble à un feuilleton d’annonces prodigieuses, aussitôt recyclées en slogans officiels. L’Algérie « puissance agricole », « championne du numérique », « leader africain en énergie solaire »… et maintenant « empire du phosphate ».
Pendant ce temps, l’économie réelle continue de tourner en rond autour du gaz et du pétrole, qui représentent toujours plus de 90 % des exportations. Les autres secteurs — industrie, agriculture, mines — restent figés dans un état de sous-développement chronique, étouffés par la corruption et la lourdeur administrative.
Quand le verbe remplace la production
Le drame du modèle algérien n’est pas tant dans ses ambitions que dans sa mise en scène. Le pouvoir fabrique du prestige comme on fabrique des slogans , à la chaîne. Or, si le verbe pouvait se transformer en minerai, Tebboune aurait déjà fait fortune. Mais dans le monde réel, les marchés se nourrissent de chiffres, pas de discours.
En définitive, le « phosphate de Tebboune » n’est pas une ressource minérale , c’est une ressource rhétorique. Il alimente un système où l’illusion de la grandeur remplace la réalité de la croissance, où les mines d’or se trouvent dans les téléprompteurs, et non dans le sous-sol.
Comme l’a écrit un internaute désabusé : « En Algérie, nous avons trouvé le secret de l’abondance ,il suffit de parler assez fort pour que le pays paraisse riche. »