Les consulats algériens, nouveaux postes de surveillance politique : quand la diplomatie devient un instrument de répression transnationale

Par Bouchaib El Bazi

Alors que l’Europe n’a pas encore digéré les révélations sur l’implication de membres des missions consulaires algériennes dans des “infractions diplomatiques graves”, de nouvelles enquêtes en Amérique du Nord lèvent le voile sur la face cachée du même système , un réseau de contrôle et d’intimidation qui s’étend au-delà des frontières nationales pour museler les voix dissidentes, jusque dans les démocraties occidentales.

De Paris à Montréal, les témoignages se recoupent et les preuves s’accumulent , les consulats algériens, censés protéger leurs ressortissants, se sont transformés en antennes du pouvoir sécuritaire d’Alger, où les passeports et documents officiels deviennent des leviers de chantage politique.

Des témoignages accablants : la bureaucratie comme arme

Dans un rapport au ton inhabituellement ferme, l’organisation de défense des droits humains Chouaa (Shu‘aa) dénonce “une dérive systémique des services consulaires algériens”, accusés de pratiquer un harcèlement administratif ciblé contre les citoyens jugés critiques envers le régime.

Les plaignants — des Algériens établis en Europe et en Amérique du Nord — affirment avoir subi des refus arbitraires de renouvellement de passeports, de délivrance de cartes consulaires ou de documents biométriques.

Certains disent avoir été priés, oralement, de “cesser de parler politique” ou de supprimer leurs publications sur les réseaux sociaux. D’autres, plus nombreux, affirment avoir dû signer des engagements écrits à ne plus commenter la situation politique du pays en échange du traitement de leurs dossiers.

“C’est du chantage pur et simple”, résume l’organisation Chouaa, qui parle d’une politique d’“extorsion administrative et de répression par le papier”.

Une politique d’État, pas des dérives isolées

Contrairement à ce qu’affirment les autorités d’Alger, ces pratiques ne seraient pas de simples abus individuels. Chouaa les décrit comme une stratégie coordonnée de contrôle de la diaspora, dictée depuis les plus hautes sphères du pouvoir.

“Le passeport algérien est devenu une arme politique, et les consulats, les prolongements naturels du ministère de l’Intérieur”, indique le rapport.

Ces conclusions recoupent les constats d’autres ONG internationales, dont Human Rights Watch et Amnesty International, qui ont documenté depuis deux ans des “politiques de répression transnationale” visant des journalistes, activistes et opposants vivant à l’étranger.

Le précédent le plus frappant reste celui de l’enlèvement d’Amir DZ, un opposant établi en France, en avril 2024. Selon les investigations françaises, l’opération aurait impliqué un agent lié à une mission consulaire algérienne. L’affaire a provoqué un froid diplomatique entre Paris et Alger et relancé le débat sur les limites — voire les dérives — de l’immunité diplomatique.

Une diplomatie qui isole plus qu’elle ne protège

Ces pratiques ont un impact direct sur la diaspora algérienne. Beaucoup d’expatriés évitent désormais les consulats, craignant d’être fichés, sanctionnés ou privés de documents essentiels. D’autres vivent dans une angoisse administrative permanente, coincés entre leur droit de citoyen et la peur d’un État omniprésent.

Pour Chouaa, cette méfiance généralisée “mine la confiance entre le citoyen et ses institutions, et détériore l’image de l’Algérie à l’étranger”.

Les pays hôtes, eux, observent avec inquiétude cette instrumentalisation de la diplomatie à des fins de contrôle interne, un phénomène déjà dénoncé dans le cas de certains régimes autoritaires.

La responsabilité politique du pouvoir

L’ONG tient les autorités algériennes pour pleinement responsables de cette dérive et exige “la fin immédiate de toutes les formes de pression exercées sur les membres de la communauté algérienne à l’étranger”.

Elle appelle aussi à “identifier et sanctionner les fonctionnaires qui utilisent leur position pour servir des agendas politiques”.

Mais à Alger, le silence reste la règle. Aucune enquête n’a été ouverte, aucune réaction officielle n’a été formulée. Le régime, déjà sur la défensive à l’international, semble préférer laisser le scandale s’étouffer de lui-même, quitte à sacrifier le peu de crédibilité diplomatique qu’il lui restait.

Un État qui poursuit ses citoyens jusque dans l’exil

Ce que révèlent ces témoignages, c’est un État obsédé par le contrôle, incapable de tolérer la moindre voix libre — même à des milliers de kilomètres.

Derrière les vitrines consulaires aux drapeaux soignés, c’est tout un appareil de surveillance qui se déploie, brouillant la frontière entre administration et police politique.

Et comme le conclut Chouaa :

“La voix des Algériens à l’étranger ne sera pas étouffée par la peur ni par la paperasse.

Ces pratiques ne cachent pas la crise politique du régime — elles la dévoilent dans toute son ampleur.”

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