Crise de gouvernance au Conseil Musulman de Belgique : opacité, conflits internes et questions de légitimité

Par Bouchaib El Bazi

Alors qu’il était censé incarner la nouvelle ère de transparence et de coordination du culte musulman en Belgique, le Conseil Musulman de Belgique (CMB) traverse aujourd’hui une crise institutionnelle majeure.

Selon une chronologie interne des faits consultée par notre rédaction, l’organisation, pourtant reconnue temporairement par l’État, accumule les irrégularités statutaires, les tensions internes et les zones d’ombre administratives, suscitant l’inquiétude croissante des communautés musulmanes du pays.

Un départ prometteur… avant le déraillement

Créée en mai 2023 par quatre membres fondateurs et reconnue temporairement par arrêté royal du 12 juin 2023, l’ASBL CMB devait assurer une représentation unifiée du culte musulman, en remplacement du défunt Exécutif des Musulmans de Belgique (EMB).

Mais à peine deux ans plus tard, la jeune structure semble minée par des querelles internes et un manque flagrant de transparence.

L’élargissement de l’Assemblée générale, le 19 avril 2025, à 49 membres (dont 45 élus) marquait officiellement un pas vers une gouvernance plus démocratique. Or, cette ouverture n’aura été qu’un court répit avant le retour à des pratiques opaques rappelant les dérives du passé.

Des assemblées générales entachées d’irrégularités

Le cœur du litige repose sur une série d’Assemblées générales extraordinaires (AGE) organisées en juin 2025 par les quatre membres fondateurs sortants.

Selon plusieurs témoignages concordants, ces réunions — tenues les 16 et 25 juin 2025 — se seraient déroulées sans convocation officielle ni consultation des 45 membres nouvellement élus, en violation du Code des sociétés et associations (CSA) et des statuts de 2023.

« Les membres n’ont été ni informés ni invités. Quatre personnes ont décidé seules du futur juridique de l’organisation », déplore un membre de l’Assemblée générale.

Ces AGE ont pourtant abouti à l’adoption de nouveaux statuts, publiés en septembre 2025, sans que la majorité des membres n’en aient eu connaissance.

Un nouveau Conseil d’administration contesté

Malgré ces irrégularités, un nouveau Conseil d’administration est entré en fonction le 26 juin 2025, affirmant que les membres fondateurs restaient compétents pour organiser les AGE jusqu’à cette date.

Une justification jugée fragile par plusieurs juristes spécialisés en droit associatif , « Dès lors que l’Assemblée générale a été élargie à 49 membres en avril, les fondateurs n’avaient plus la légitimité d’agir seuls », analyse un avocat bruxellois.

Pire, le nouveau CA aurait par la suite convoqué une AG supplémentaire le 4 octobre 2025, afin de « ratifier » les décisions contestées des AGE de juin.

Malgré le boycott d’une dizaine de membres, le quorum aurait été atteint, et les modifications statutaires ont été adoptées.

Une manœuvre que certains membres dénoncent comme une “régularisation de façade” visant à légitimer des décisions déjà entachées d’irrégularité.

Opacité et refus de communication : un climat de défiance

Autre point de crispation , le refus du président du CA d’accorder un accès complet aux procès-verbaux et documents internes.

Le 23 septembre 2025, un membre a officiellement sollicité la copie des PV et des décisions administratives ; seule une consultation partielle, sans possibilité de copie, lui a été autorisée.

Un comportement contraire, selon plusieurs spécialistes, à l’obligation de transparence imposée par le CSA aux associations reconnues d’utilité publique.

Cette opacité nourrit la méfiance au sein même de la communauté musulmane, déjà échaudée par des décennies de scandales autour des instances représentatives.

« Le CMB promettait la clarté et la participation. Nous retrouvons les mêmes logiques de verrouillage que sous l’ancien Exécutif », déplore un imam membre de l’Assemblée générale.

Un problème de légitimité institutionnelle

Au-delà du simple dysfonctionnement administratif, la crise actuelle pose une question fondamentale de légitimité .

les décisions adoptées par les quatre fondateurs lors des AGE de juin peuvent-elles être considérées comme valables, alors qu’elles n’impliquaient qu’une fraction de l’Assemblée générale ?

En théorie, la loi prévoit plusieurs voies de recours :

  • Action en annulation des décisions irrégulières (article 2:42 du CSA) ;
  • Suspension en référé des effets des AGE contestées ;
  • voire action en responsabilité contre les administrateurs fautifs.

Des recours qui pourraient être engagés par les dix membres ayant boycotté l’AG du 4 octobre, selon des sources internes, ouvrant la voie à une judiciarisation du dossier.

Un miroir des tensions structurelles du culte musulman

Cette affaire illustre plus largement la fragilité chronique du modèle belge de gestion du culte musulman.

Entre luttes d’influence internes, enjeux de pouvoir et ingérences politiques supposées, le CMB peine à remplir la mission qui lui a été confiée , celle d’une représentation transparente, inclusive et démocratique.

À moins d’une réforme en profondeur — tant dans la gouvernance que dans la supervision publique —, la crise actuelle risque d’aggraver la perte de confiance entre les institutions musulmanes et les autorités belges.

Et de replonger la représentation du culte musulman dans le cycle sans fin des dissolutions, reconfigurations et querelles intestines.

Les questions juridiques en suspens

  • Les AGE des 16 et 25 juin 2025 peuvent-elles être annulées pour irrégularité de convocation ?
  • Les nouveaux statuts sont-ils nuls de plein droit s’ils ont été adoptés par des membres non compétents ?
  • Les décisions de l’AG du 4 octobre 2025, fondées sur ces statuts, ont-elles une validité juridique réelle ?
  • Et surtout , le CMB peut-il encore être considéré comme interlocuteur légitime de l’État dans la représentation du culte musulman ?

En résumé, le Conseil Musulman de Belgique, censé tourner la page des anciennes crises institutionnelles, semble au contraire en raviver les pires symptômes : centralisation, opacité et absence de légitimité démocratique.

Un constat préoccupant, à l’heure où la reconnaissance publique du culte musulman en Belgique reste plus fragile que jamais.

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