L’Europe et le Maroc : entre coopération sécuritaire et malentendus politiques

Par Rime Mdaghri

Depuis plus d’une décennie, l’Union européenne et le Maroc entretiennent une coopération étroite en matière de sécurité, de gestion migratoire et de modernisation institutionnelle. Bruxelles a investi plus de 800 millions d’euros pour soutenir les réformes judiciaires, renforcer les capacités policières et stabiliser les frontières. Pourtant, une question persiste , comment concilier soutien sécuritaire et respect des droits humains dans un contexte aussi complexe que celui du Maghreb ?

Une coopération stratégique, pas toujours comprise

Pour les institutions européennes, le Maroc constitue un partenaire essentiel de la stabilité régionale. Son rôle dans la lutte contre le terrorisme, le trafic de migrants ou la criminalité transnationale est reconnu et souvent salué. Rabat, de son côté, voit dans cette coopération un levier de modernisation technique et diplomatique.

Mais les rapports entre les deux partenaires ne sont pas exempts de tensions. Les ONG européennes et marocaines dénoncent régulièrement des pratiques jugées répressives, notamment à l’encontre de certains mouvements sociaux comme le Hirak du Rif.

Les autorités marocaines, elles, rejettent ces accusations et affirment que la fermeté sécuritaire s’inscrit dans un cadre légal de préservation de l’ordre public. « Aucun pays ne peut se permettre le chaos, surtout dans une région soumise à des menaces multiples », soulignent plusieurs responsables à Rabat.

Entre modernisation judiciaire et critiques récurrentes

Les programmes financés par l’UE visent à appuyer la formation des magistrats, la digitalisation des procédures judiciaires et l’amélioration des conditions carcérales. Selon les chiffres officiels, ces projets ont permis de renforcer la transparence et de réduire la durée moyenne des détentions préventives.

Cependant, certains observateurs considèrent que l’impact réel de ces programmes reste limité par des contraintes structurelles , lenteur administrative, manque d’indépendance du parquet, et instrumentalisation politique de la justice dans quelques affaires sensibles.

Pour l’analyste Matteo Garavoglia, auteur d’un rapport sur le sujet, « l’Europe finance une réforme de la justice, mais reste prudente face à la réalité d’un État où la sécurité prime souvent sur le droit ».

Le dilemme européen

Cette ambivalence traduit le dilemme fondamental de la politique européenne vis-à-vis de ses voisins du Sud , la stabilité sans cautionner la dérive autoritaire.

Bruxelles est consciente que le Maroc reste un allié incontournable, tant pour la lutte contre le terrorisme que pour la gestion migratoire — notamment à Ceuta et Melilla. Fermer les yeux sur certains excès, cependant, fragilise le discours européen sur les valeurs universelles.

Un diplomate européen résume cette contradiction :

« Le Maroc est un partenaire fiable, mais un partenaire que nous n’osons pas toujours critiquer. »

Vers une approche plus équilibrée ?

Rabat plaide aujourd’hui pour une coopération d’égal à égal, fondée sur la confiance mutuelle et la reconnaissance du rôle stratégique du Maroc dans la région. Le Royaume souligne que les défis auxquels il fait face — terrorisme, extrémisme, flux migratoires — nécessitent une approche globale où la sécurité et le développement vont de pair.

L’Union européenne, pour sa part, affirme vouloir maintenir son appui tout en encourageant un dialogue renforcé sur les libertés publiques. Plusieurs programmes conjoints sont déjà prévus pour 2026, visant à accompagner la réforme du Code pénal et à renforcer la formation des forces de sécurité sur les droits humains.

Le partenariat euro-marocain reste à la fois nécessaire et fragile. Nécessaire, parce qu’il conditionne la stabilité du Maghreb et la sécurité de l’Europe. Fragile, parce qu’il se heurte à des perceptions divergentes sur la nature de l’État de droit et le rôle de la société civile.

Entre réalisme géopolitique et idéalisme démocratique, l’Europe et le Maroc avancent sur une ligne de crête. Une relation à consolider, mais aussi à repenser — non pas sous le prisme de la défiance, mais de la responsabilité partagée.

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