Anderlecht : la fin brutale de la “Zone Neutre”, symbole d’un malaise belge sur la gestion des sans-papiers
Par Bouchaib El Bazi
La tension était palpable ce vendredi au square de l’Aviation à Anderlecht, où s’est achevée dans la douleur l’occupation du collectif Zone Neutre. Près de 400 militants solidaires s’étaient rassemblés pour soutenir 70 sans-papiers expulsés de l’immeuble qu’ils occupaient depuis plusieurs mois.
À 16h30, les forces de l’ordre ont levé le camp, laissant derrière elles une scène de désolation — et un débat relancé sur la violence policière et la crise chronique de l’accueil en Belgique.
Un jour symbolique, une expulsion controversée
Ironie du calendrier , cette expulsion est intervenue le jour même de la Journée mondiale de lutte contre la pauvreté.
Pour les militants, le symbole est cruel. « En ce jour, la Belgique montre son vrai visage , celui d’un État qui expulse les pauvres plutôt que de les écouter », dénonce un membre de Zone Neutre, le collectif né en 2021 en réaction à l’inaction gouvernementale face au sort des sans-papiers.
Les forces de l’ordre, encadrées par la zone de police Bruxelles-Midi, ont justifié leur intervention par l’exécution d’une décision de justice.
« La contrainte a été utilisée, mais en juste proportion. Dans un État de droit, il faut pouvoir faire respecter une décision judiciaire », a déclaré Jurgen De Landsheer, chef de corps de la police Bruxelles-Midi.
Selon la police, deux arrestations administratives ont été opérées – l’une pour un tag – ainsi que deux blessés légers parmi les agents. Un manifestant a également été soigné sur place.
Des militants dénoncent une “violence disproportionnée”
Le récit des militants est tout autre. Selon plusieurs témoins, les policiers se seraient jetés sur les occupants et leurs soutiens sans sommation.
« Ils ont matraqué des personnes assises, pacifiques, qui ne faisaient qu’exprimer leur solidarité », témoigne Sarah, bénévole au sein du collectif.
Une militante aurait perdu connaissance, une autre souffrirait d’un pouce fracturé, et plusieurs personnes présenteraient des contusions ou des irritations dues aux gaz lacrymogènes.
« L’intervention a été totalement disproportionnée », déplore un membre de la plateforme BelRefugees, avant d’ajouter , « Ce n’est pas seulement une expulsion, c’est un signal politique. On criminalise la solidarité ».
Le collectif Zone Neutre a d’ores et déjà annoncé son intention de déposer une plainte collective pour usage excessif de la force.
Un dispositif policier et médical impressionnant
Face aux risques de débordement, un dispositif ambulancier exceptionnel avait été mobilisé , trois SMUR et cinq ambulances, selon Walter Derieuw, porte-parole des pompiers de Bruxelles.
Ce dernier précise que cette mobilisation était préventive , « Nous savions que la tension pouvait monter. L’objectif était d’éviter tout drame humain ».
Mais pour les militants, la mise en scène policière et médicale a renforcé le sentiment de stigmatisation des sans-papiers, perçus comme une menace plutôt que comme des êtres humains en détresse.
La Belgique et ses sans-papiers : une impasse institutionnelle
Derrière cet épisode se cache un problème structurel que la Belgique peine à résoudre depuis deux décennies , celui de la régularisation et de la reconnaissance des sans-papiers.
Des milliers de personnes vivent et travaillent dans le pays sans statut légal, souvent dans des conditions précaires, sans accès stable à la santé, au logement ou à l’éducation.
Les politiques se succèdent, les promesses aussi, mais aucun gouvernement n’a osé affronter frontalement cette question explosive.
La grève de la faim des sans-papiers en 2021, soutenue par de nombreux universitaires et ONG, avait brièvement remis la question sur la table — avant de retomber dans le silence politique habituel.
L’ombre d’une société à deux vitesses
Cette expulsion d’Anderlecht met une nouvelle fois en lumière la fracture entre la Belgique officielle et la Belgique sociale.
D’un côté, un État de droit qui invoque le respect des décisions judiciaires ; de l’autre, une réalité humaine où des centaines de personnes vivent, invisibles, sans droit ni voix.
À la veille des élections de 2026, le dossier des sans-papiers reste une bombe politique à retardement, nourrissant le désenchantement d’une partie de la société civile.
L’expulsion du collectif “Zone Neutre” n’est pas un simple fait divers , c’est le miroir d’un malaise institutionnel.
La Belgique, patrie autoproclamée des droits humains, se retrouve piégée entre la rigueur juridique et la misère sociale.
Et au centre de ce paradoxe, des hommes et des femmes continuent d’espérer qu’un jour, la neutralité ne sera plus synonyme d’indifférence.