Algérie – Tindouf : le fardeau d’un État dans l’État après la fin du conflit du Sahara

Bouchaib El Bazi

Alors que la question du Sahara marocain s’achemine vers son épilogue, à la faveur d’une série d’appuis internationaux sans précédent au plan d’autonomie proposé par Rabat, une autre équation, plus silencieuse mais tout aussi explosive, se profile pour Alger , le devenir de la « République de Tindouf », ce territoire abritant depuis près d’un demi-siècle les camps du Front Polisario, sur le sol algérien.

D’un instrument de pression à un fardeau politique

Pendant des décennies, l’Algérie a fait du dossier du Sahara un pilier de sa politique régionale, érigeant le Polisario en vitrine diplomatique de sa rivalité avec le Maroc.

Mais à mesure que les grandes puissances — États-Unis, Espagne, France, Allemagne — reconnaissent ou soutiennent la marocanité du Sahara, le rapport de forces s’inverse.

Ce qui fut jadis une carte de pression devient désormais un handicap stratégique, lourd à porter sur la scène intérieure et internationale.

Les milliers d’habitants des camps de Tindouf, nés pour la plupart après 1975, ne connaissent que l’Algérie.

Ils y ont grandi, étudié, travaillé, souvent sans jamais avoir foulé le sol saharien qu’on leur présente comme leur « patrie perdue ».

Juridiquement et humainement, ces hommes et femmes sont des Algériens de fait, prisonniers d’un vide administratif entretenu depuis cinquante ans.

Tindouf : la souveraineté en double

Depuis les années 1980, la région de Tindouf fonctionne selon un modèle unique au monde , une cohabitation entre souveraineté nationale et souveraineté parallèle.

L’armée algérienne contrôle le périmètre extérieur, mais à l’intérieur, le Polisario exerce un pouvoir quasi absolu , gestion des camps, distribution des aides, taxation des activités, délivrance de documents, et contrôle du mouvement des personnes.

En clair, Tindouf est une enclave politique, un État dans l’État, toléré tant qu’il servait un agenda géopolitique.

Mais cette équation atteint aujourd’hui ses limites.

Le « parrainage » d’un mouvement sans cause, sur un sol national, devient politiquement coûteux et juridiquement intenable pour Alger.

Trois scénarios d’un casse-tête algérien

Face à la nouvelle donne régionale, Alger devra bientôt trancher. Trois scénarios se dessinent, tous risqués :

  1. L’intégration progressive des habitants des camps
    C’est l’option la plus rationnelle, mais aussi la plus onéreuse.
    Elle impliquerait la naturalisation de dizaines de milliers de personnes, avec tout ce que cela suppose en matière d’emploi, de logement et de reconnaissance légale.
    Un geste humanitaire, certes, mais aussi un aveu politique d’échec.
  2. Le renvoi vers la frontière marocaine
    Une hypothèse redoutée, qui rappellerait les expulsions brutales de migrants africains opérées par Alger vers le Niger ou le Mali.
    Mais dans le cas du Polisario, ce serait un désastre diplomatique , Rabat n’a aucune obligation d’accueillir des personnes qu’il ne considère ni comme citoyens ni comme réfugiés politiques légitimes.
  3. Le statu quo prolongé
    La solution la plus probable à court terme , maintenir la fiction humanitaire et réduire progressivement la visibilité politique du Polisario.
    Mais cette inertie ne ferait que reporter l’inévitable, au prix d’une crise sociale et sécuritaire latente dans le Sud algérien.

Le cas Benbatouch : symbole d’une impasse

Derrière le symbole, un nom , Ibrahim Ghali, alias « Benbatouch ».

Chef autoproclamé d’un État sans territoire, il représente aujourd’hui l’incarnation d’un système à bout de souffle.

Protégé par Alger tant qu’il servait ses intérêts, il pourrait bientôt devenir un fardeau encombrant.

Ni expulsable, ni réintégrable, ni crédible, le vieux leader du Polisario illustre la tragédie d’un mouvement qui a perdu à la fois son combat, sa légitimité et son refuge moral.

Et au-delà de Ghali, c’est toute la hiérarchie du Polisario qui s’est enracinée dans le tissu local , entreprises, commerces, alliances tribales et propriétés foncières.

Partir de Tindouf ? Pour beaucoup, ce serait abandonner une souveraineté de fait acquise sur le sol algérien. L’épreuve de vérité pour Alger

Pour l’Algérie, la question de Tindouf n’est plus seulement une affaire diplomatique.

C’est un test de souveraineté.

L’État peut-il reprendre le contrôle total d’un territoire où opère un autre pouvoir politique, armé, reconnu par personne mais toléré par habitude ?

L’inaction n’est plus tenable , le risque n’est plus marocain, il est intérieur.

Tindouf pourrait devenir à terme une zone d’exception échappant à l’autorité d’Alger, voire un foyer d’instabilité si le Polisario cherche à se maintenir par la force.

Mais le régime actuel, affaibli par sa propre inertie diplomatique, paraît incapable d’anticiper cette transition.

Le Palais d’El Mouradia s’enferme dans une logique de survie, incapable d’assumer les conséquences de décennies d’aveuglement idéologique.

Fin d’un mythe, début d’une crise intérieure

Le reflux international du soutien au Polisario ne signe pas seulement la victoire diplomatique du Maroc ; il révèle aussi la faillite structurelle de la politique étrangère algérienne.

En voulant éterniser un conflit artificiel, Alger a créé un monstre administratif et politique qu’elle ne contrôle plus.

Aujourd’hui, Tindouf n’est plus un symbole de solidarité ,c’est un rappel permanent des contradictions d’un régime qui prône la souveraineté mais tolère une enclave étrangère sur son propre sol.

Et la question, désormais inévitable, résonne dans les cercles de pouvoir algériens :

L’Algérie aura-t-elle le courage de refermer le dossier du Sahara… ou laissera-t-elle Tindouf devenir son propre Sahara intérieur ?

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