Algérie – Maroc : le pari perdu d’Alger sur le Polisario

Bouchaib El Bazi

Analyse géopolitique d’un isolement diplomatique et d’une fracture interne

Depuis la reconnaissance par les États-Unis, suivie de plusieurs pays arabes et européens, de la souveraineté du Maroc sur son Sahara, la donne géopolitique au Maghreb s’est profondément transformée. Ce basculement historique, entamé avec la décision de Washington en décembre 2020, a redessiné les rapports de force régionaux et isolé davantage l’Algérie, principal soutien du Front Polisario.

Longtemps perçu à Alger comme un levier stratégique dans sa rivalité avec Rabat, le mouvement séparatiste sahraoui est devenu, quatre décennies plus tard, un fardeau diplomatique et économique pour un régime déjà fragilisé sur la scène intérieure.

Le Polisario : d’atout stratégique à handicap diplomatique

Le Front Polisario, créé dans les années 1970 et soutenu militairement, financièrement et diplomatiquement par l’Algérie, n’incarne plus aujourd’hui qu’un vestige d’une époque révolue. Alors que le Maroc a multiplié les alliances et les reconnaissances internationales autour de son plan d’autonomie, Alger continue de défendre une cause de plus en plus perçue comme anachronique et idéologique.

Les grandes puissances – des États-Unis à la France, en passant par l’Espagne, le Royaume-Uni, Israël et plusieurs États africains – plaident désormais pour une solution politique réaliste, fondée sur l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine.

Cet isolement diplomatique croissant met en lumière l’échec d’une diplomatie algérienne prisonnière de son propre discours révolutionnaire, figé dans une logique de confrontation permanente avec Rabat.

L’alliance trouble avec Téhéran

L’évolution récente du dossier sahraoui révèle une nouvelle donne inquiétante , la pénétration iranienne dans la région à travers le soutien au Polisario.

Selon plusieurs rapports de renseignement occidentaux, l’Iran et le Hezbollah libanais auraient fourni au mouvement séparatiste une assistance logistique, un appui en formation militaire et des équipements de surveillance, avec la bienveillance tacite d’Alger.

Cette alliance triangulaire – Alger, Téhéran, Polisario – alimente les craintes d’une déstabilisation régionale, notamment dans le Maghreb et le Sahel. Les experts y voient une tentative de l’Iran d’ouvrir un nouveau front d’influence face aux puissances occidentales et aux États arabes modérés.

Ainsi, le Polisario, jadis instrument de politique régionale algérienne, se mue aujourd’hui en outil géopolitique au service d’intérêts étrangers hostiles à la stabilité du Maghreb.

Le coût intérieur d’un engagement sans issue

Sur le plan interne, le soutien financier et logistique au Polisario devient de plus en plus difficile à justifier. L’économie algérienne, affaiblie par la dépendance aux hydrocarbures et par une inflation persistante, peine à répondre aux attentes sociales d’une population jeune et frustrée.

Dans les rues d’Alger, d’Oran ou de Tizi Ouzou, les voix dissidentes se multiplient , pourquoi continuer à financer un mouvement séparatiste alors que les écoles manquent de ressources et que le chômage des jeunes dépasse les 30 % ?

Pour nombre d’Algériens, la question du Sahara occidental n’est plus une priorité nationale, mais un symbole d’immobilisme politique. Ce débat, longtemps tabou, s’impose désormais dans les discussions publiques et sur les réseaux sociaux, où la population s’interroge sur les choix stratégiques de ses dirigeants.

Des fissures internes révélatrices

Paradoxalement, le régime algérien qui prône le droit à l’autodétermination pour le « peuple sahraoui » refuse d’appliquer ce principe sur son propre territoire.

Au nord, la Kabylie continue de réclamer la reconnaissance de ses droits politiques et culturels. Au sud, dans les régions sahariennes, des mouvements autonomistes dénoncent la marginalisation et le manque d’investissements publics.

Cette contradiction fragilise davantage un pouvoir centralisé, dirigé de facto par l’armée. Le général Saïd Chengriha et le président Abdelmadjid Tebboune persistent dans une posture nationaliste rigide, en brandissant la cause sahraouie comme un bouclier symbolique pour détourner l’attention des difficultés internes.

Mais selon plusieurs analystes occidentaux, le régime est désormais piégé dans sa propre rhétorique : abandonner le Polisario reviendrait à reconnaître l’échec de quarante ans de politique étrangère, tandis que continuer à le soutenir mine l’économie et ternit l’image internationale du pays.

Un isolement à haut risque

L’Algérie se retrouve donc isolée dans une région où le Maroc consolide ses alliances et se projette vers l’Afrique et l’Atlantique.

Sur le plan international, Alger apparaît de plus en plus comme un acteur rigide, incapable de s’adapter à la nouvelle réalité géopolitique. Les rapprochements récents entre Rabat et Washington, Tel-Aviv, Madrid et Paris marquent une recomposition profonde dont l’Algérie semble absente.

Là où le Maroc construit des ponts, l’Algérie dresse des murs.

Et si le régime de Tebboune a perdu la bataille diplomatique du Sahara, il a néanmoins réussi – involontairement – ce qu’aucun autre président algérien n’avait osé , creuser le fossé entre deux peuples frères, séparés par la politique, mais unis par l’histoire et la culture.

le piège du nationalisme de façade

À trop vouloir instrumentaliser le conflit du Sahara pour renforcer sa légitimité intérieure, le régime algérien s’est enfermé dans un nationalisme défensif qui le coupe du monde et de sa propre population.

Le Front Polisario, d’atout stratégique, est devenu un symbole d’échec , un héritage lourd que ni la diplomatie ni l’économie algérienne ne peuvent plus porter.

Le Maghreb aurait pu être un espace d’intégration et de prospérité partagée. Il demeure, aujourd’hui encore, l’otage d’un passé idéologique dont l’Algérie ne parvient pas à se libérer.

 

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