Tindouf, épicentre d’un double mensonge : entre calcul géopolitique et instrument de pouvoir du régime algérien

Majdi Fatima Zahra

Le choix de Tindouf comme berceau du Front Polisario et base d’installation de ses camps armés n’a jamais été le fruit du hasard. Située à 1 460 kilomètres d’Alger, à la lisière du Maroc et de la Mauritanie, cette région isolée du sud-ouest algérien concentre à elle seule un demi-siècle d’ambiguïtés territoriales, d’enjeux militaires et de manipulations politiques.

Une région au passé contesté

Les archives françaises de la période coloniale confirment que Tindouf faisait historiquement partie du Sahara oriental marocain avant son rattachement à l’Algérie sous administration française. Cette annexion, longtemps passée sous silence, demeure l’une des plaies ouvertes des relations maroco-algériennes.

Pour Alger, installer le mouvement séparatiste sahraoui dans cette région dans les années 1970 constituait un coup de maître géostratégique , une manière de créer une zone tampon entre le Maroc et un territoire algérien hérité de la cartographie coloniale.

Sous la houlette du régime militaire de Houari Boumédiène et avec la complicité du colonel Mouammar Kadhafi, la création du Polisario servait alors une double ambition , affirmer le leadership algérien dans le Maghreb postcolonial et contenir l’influence montante du Maroc, jugée menaçante pour la vision panarabiste d’Alger.

Le Polisario : instrument d’influence extérieure et outil de contrôle intérieur

Mais au-delà de la logique régionale, le Polisario est rapidement devenu un outil de politique intérieure pour le régime militaire algérien.

En entretenant le conflit du Sahara occidental, le pouvoir algérien a trouvé une échappatoire commode à ses crises internes – économiques, sociales et politiques – qui se succèdent depuis l’indépendance.

Sous couvert de « défense du peuple sahraoui », le pouvoir militaire détourne l’attention de la population algérienne des réalités nationales , chômage endémique, corruption systémique, et désenchantement d’une jeunesse privée de perspectives.

La « cause sahraouie » fonctionne ainsi comme un exutoire idéologique, permettant au régime d’alimenter un nationalisme de façade et de légitimer la mainmise de l’armée sur la vie politique et économique du pays.

Chaque résurgence de tension diplomatique avec Rabat agit comme un anesthésiant , elle occulte les revendications sociales et conforte la posture du régime en « protecteur » de la nation face à un ennemi extérieur désigné.

Tindouf : une zone tampon devenue zone d’ombre

À Tindouf, la fiction politique a pris corps.

Sous contrôle militaire algérien, les camps du Polisario fonctionnent comme une enclave quasi autonome, échappant à toute supervision internationale réelle. Ce territoire, où Alger nie sa responsabilité tout en exerçant un contrôle total, est devenu un no man’s land juridique , ni totalement algérien, ni reconnu comme entité indépendante.

Les dirigeants du Polisario, installés sous la protection directe du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), y mènent des activités opaques – allant du détournement d’aide humanitaire au trafic d’armes – avec la bénédiction tacite de leurs protecteurs.

Le territoire de Tindouf, censé incarner une « lutte de libération », s’est mué en zone grise où convergent intérêts mafieux, propagande d’État et ambitions militaires.

Une stratégie de diversion consolidée par la militarisation du pouvoir

Depuis les années 1970, le régime algérien a bâti son récit sur la menace extérieure. Le conflit du Sahara est devenu un prétexte permanent pour justifier la centralisation du pouvoir entre les mains des généraux.

Sous la présidence d’Abdelmadjid Tebboune, largement perçue comme une vitrine civile d’un régime de caserne dirigé par le général Saïd Chengriha, cette stratégie reste intacte.

Tindouf incarne le prolongement géographique de cette logique , un laboratoire du contrôle et du mensonge, où le Polisario est à la fois vitrine diplomatique et instrument de pression.

L’obsession de « contenir le Maroc » permet de maintenir une tension régionale utile, mobilisant la rhétorique nationaliste chaque fois que les crises internes menacent de déstabiliser le régime.

Le double levier : entre chantage régional et stabilité interne

En mêlant le dossier du Sahara occidental à celui – plus ancien – de Tindouf, Alger a réussi à transformer cette région en double levier politique.

À l’extérieur, elle sert de carte de chantage diplomatique face au Maroc et à la communauté internationale.

À l’intérieur, elle demeure un pilier du discours de légitimation du pouvoir militaire, qui se présente comme le gardien d’une Algérie assiégée.

Cette stratégie a certes permis au régime de survivre, mais au prix d’un isolement croissant. Car sur la scène internationale, le soutien au Polisario s’effrite, tandis que la reconnaissance du plan marocain d’autonomie s’impose comme une réalité politique irréversible.

Tindouf, miroir des impasses algériennes

Cinquante ans après l’installation du Polisario, Tindouf demeure le symbole d’un double échec , celui d’un projet séparatiste qui n’a jamais eu de légitimité, et celui d’un régime algérien incapable de se réinventer sans ennemi extérieur.

Sous le sable de Tindouf, se cache moins une question de décolonisation qu’un système de pouvoir verrouillé par l’armée, nourri par la peur et entretenu par la manipulation.

Tant que le régime algérien continuera d’utiliser le Polisario comme son prolongement idéologique, Tindouf restera non pas une « capitale sahraouie », mais une métaphore de l’immobilisme politique d’Alger.

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