Par un curieux paradoxe, certaines icônes du Printemps arabe semblent s’être figées dans leur propre légende. Tawakkol Karman, prix Nobel de la paix en 2011, est de celles qui confondent mégaphone et mandat moral. Sa dernière croisade , le Maroc. Oui, le Maroc, ce pays qu’elle croit encore à l’heure des tentes et des slogans place Tahrir.
Née en 1979 à Ta’izz, Karman fut un symbole. Journaliste, militante, fondatrice de l’association « Femmes Journalistes Sans Chaînes » — beau nom, mais chaîne tout de même — elle a incarné la résistance pacifique au Yémen et mérité, à ce titre, un Nobel partagé. Jusque-là, rien à redire , une voix courageuse dans le vacarme de la guerre.
Mais les années ont passé, la gloire s’est installée, et la militante a trouvé à Istanbul une nouvelle patrie et un vieux combat , faire tomber, à distance, les régimes qu’elle n’a pas compris. Naturalisée turque, sponsorisée par l’écosystème qataro-frériste — celui qui finance généreusement la nostalgie révolutionnaire — Karman continue de voir dans chaque revendication sociale un Printemps arabe en devenir. Quitte à inventer un été pour le Maroc.
Une révolution imaginaire au 212
En octobre 2025, alors que de jeunes Marocains – baptisés « Gen Z 212 » – exprimaient pacifiquement des revendications sociales sur l’éducation et l’emploi, Karman a cru flairer le grand soir. Depuis son balcon numérique d’Istanbul, elle a partagé une vidéo annonçant qu’une foule « marchait sur le Palais royal ». Spoiler , personne n’y allait. Les manifestants discutaient salaire, santé, et avenir – pas trône ni régime.
Mais qu’importe les faits, pourvu qu’on ait la fiction ! En bonne scénariste de la révolution perpétuelle, Karman a qualifié ces rassemblements de « Printemps marocain ». Elle n’a pas précisé que le thermomètre institutionnel du Royaume affichait stabilité, ni que la jeunesse, en majorité, réaffirmait son attachement à la monarchie.
Le point de rupture survint quand la militante publia une image du Roi Mohammed VI affublée de vers jugés insultants. L’indignation fut immédiate. À ce stade, il ne s’agissait plus d’activisme, mais d’une provocation pure et simple. Derrière l’écran, une même mécanique , recycler la rhétorique de 2011 pour délégitimer les États qui ne s’alignent pas sur la grille frériste Ankara-Doha.
Un réseau, une idéologie, une cible
Les pièces du puzzle sont connues. Karman, installée en Turquie, dirige la chaîne Bilqis, alimentée par des circuits financiers qataris. Son entourage professionnel baigne dans la galaxie d’Al-Jazeera, où l’on aime rappeler aux autres pays arabes qu’ils ne sont pas assez « révolutionnaires ». Le Maroc, monarchie constitutionnelle à la fois islamique et modernisée, incarne tout ce que cette idéologie récuse , un islam d’institutions, pas d’insurrection.
Dans cette équation, les monarchies deviennent suspectes, sauf celle d’Ankara, bien sûr, où la verticalité du pouvoir s’appelle « légitimité démocratique ». Cherchez la cohérence.
Le Maroc répond avec calme et droit
La riposte marocaine n’a pas versé dans le vacarme. D’abord, les internautes ont opposé la vérité numérique aux mensonges viraux. Puis des acteurs civiques ont pris la plume et le droit. Ismail El Hamraoui, du « Gouvernement parallèle de la jeunesse », a saisi le Comité Nobel et le Conseil de surveillance de Meta, où siège Karman — un rappel poli que le Nobel n’est pas un passeport pour l’impunité.
Enfin, le Club des avocats du Maroc a déposé plainte auprès du parquet turc, sur la base de la loi n° 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. Oui, la Turquie , ironie du sort, ce pays où la militante s’est réfugiée sous le drapeau de la liberté d’expression… à géométrie variable.
La parabole d’une incompréhension
Le « problème Karman » n’est ni personnel ni national. Il est idéologique, d’abord , le Maroc démontre qu’islam, stabilité et développement peuvent cohabiter sans tutelle ni charia politique. Il est analytique, ensuite , lire le Maroc de 2025 avec les lunettes du Caire 2011, c’est faire de la myopie militante. Enfin, il est géopolitique , la militante devenue influenceuse s’en prend à ce qui dérange l’axe Ankara-Doha – un Royaume qui trace sa voie, libre et serein.
Épilogue provisoire
Tawakkol Karman voulait rallumer la mèche du Printemps arabe. Elle n’a trouvé que le vent d’automne marocain. Entre le slogan et le réel, il y a le droit. Entre l’idéologie et la dignité, il y a la nuance. Et entre la liberté d’expression et la diffamation, il y a un juge turc qui, cette fois, devra trancher.