Pourquoi le Sahara occidental pourrait être le talon d’Achille du régime algérien
Majdi Fatima Zahra
Parmi les nombreux paradoxes qui structurent la politique étrangère de l’Algérie, la question du Sahara occidental occupe une place singulière , elle est à la fois pilier idéologique, instrument diplomatique et, potentiellement, source d’une fragilité systémique. Ce dossier, que le pouvoir d’Alger a érigé en symbole de son engagement anticolonial et de sa rivalité avec le Maroc, pourrait — selon une lecture analytique — contribuer à l’affaiblissement du régime s’il continue à absorber une part disproportionnée de ses ressources diplomatiques, économiques et sécuritaires.
Isolement diplomatique progressif
Depuis quelques années, la dynamique internationale autour du Sahara occidental s’est transformée au détriment d’Alger. La reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le territoire en 2020, suivie par l’ouverture de consulats étrangers à Dakhla et Laâyoune, a marqué un tournant symbolique.
Face à cette tendance, la diplomatie algérienne peine à mobiliser de nouveaux soutiens. Plusieurs capitales africaines, autrefois acquises à la cause du Front Polisario, ont opté pour une position de neutralité pragmatique, voire pour un rapprochement avec Rabat. Résultat ,l’Algérie se retrouve isolée, prisonnière d’un narratif figé qui ne convainc plus ses interlocuteurs internationaux.
Le coût d’un engagement sécuritaire prolongé
Soutenir le Front Polisario n’est pas qu’un choix idéologique , c’est une entreprise logistique et sécuritaire de long terme. L’entretien des infrastructures dans les camps de Tindouf, le soutien matériel aux milices, et la surveillance militaire le long de la frontière sud engendrent des coûts considérables.
Dans un contexte où les finances publiques dépendent quasi exclusivement des revenus des hydrocarbures, cet engagement extérieur grève le budget national. Il détourne également des ressources qui pourraient être allouées à des priorités intérieures telles que l’emploi, la santé ou l’éducation.
L’économie algérienne à la merci des fluctuations énergétiques
Le modèle économique algérien repose encore sur une rente pétrolière et gazière qui représente plus de 90 % des recettes d’exportation. Cette dépendance extrême expose le pays à la volatilité des prix mondiaux de l’énergie.
Lors des périodes de baisse des cours, l’État peine à maintenir ses politiques de redistribution et de subvention, essentielles à la paix sociale. Le financement d’un dossier diplomatique aussi coûteux que celui du Sahara devient alors un fardeau. À long terme, cette vulnérabilité structurelle fragilise la capacité du régime à justifier ses priorités stratégiques face à une population de plus en plus exigeante.
Une légitimité interne en érosion
Le pouvoir algérien a longtemps utilisé la question du Sahara occidental comme un ciment nationaliste, mobilisant l’opinion autour d’un ennemi extérieur. Mais cette rhétorique s’épuise.
Depuis le mouvement du Hirak en 2019, les Algériens réclament davantage de transparence, de justice sociale et de libertés politiques. Dans ce contexte, l’obsession du régime pour le dossier saharien apparaît, pour une partie de la société, comme un écran de fumée destiné à masquer la stagnation interne.
Le décalage entre les priorités du pouvoir et les préoccupations de la population crée une tension latente , plus le régime s’enferme dans ce combat symbolique, plus il perd de crédit auprès de ses propres citoyens.
Les alliances mouvantes redessinent la carte régionale
Sur le plan géopolitique, la recomposition des alliances joue également contre Alger. Le Maroc a su tisser des partenariats économiques et sécuritaires solides avec les États-Unis, Israël, les pays du Golfe et plusieurs puissances africaines.
Dans le même temps, l’Algérie, repliée sur son isolement stratégique, peine à convertir sa posture anti-impérialiste en atout diplomatique. Si ses alliances traditionnelles (notamment avec la Russie) offrent un soutien ponctuel, elles ne compensent ni le manque d’investissement étranger ni la marginalisation croissante du pays dans les enceintes régionales.
Scénarios possibles
Scénario modéré , L’Algérie maintient sa ligne dure, mais au prix d’un affaiblissement économique et diplomatique. Le régime survit grâce à la rente énergétique et à un contrôle politique renforcé.
Scénario intermédiaire , sous la pression des réalités économiques, Alger opte pour un réajustement prudent — en réduisant son implication directe dans le conflit tout en préservant un discours de principe.
Scénario de rupture , une combinaison de crise économique, de perte d’alliés et de mécontentement populaire conduit à une remise en question de la politique étrangère et, potentiellement, à une reconfiguration interne du pouvoir.
Le Sahara occidental ne causera probablement pas à lui seul la « chute » de l’Algérie. Mais il constitue un facteur d’usure systémique, un révélateur de déséquilibres profonds , dépendance économique, rigidité institutionnelle, déficit de légitimité et isolement diplomatique.
En continuant d’en faire le cœur de sa doctrine extérieure, le régime algérien risque de transformer ce symbole de fierté nationale en catalyseur de vulnérabilité politique.
Autrement dit , ce n’est pas le Sahara qui menace l’Algérie, mais l’incapacité du pouvoir à penser son avenir au-delà du Sahara.