Algérie : quand le pouvoir ressuscite le spectre de la déchéance de nationalité
Bouchaib El Bazi
L’ombre du soupçon plane à nouveau sur les Algériens de l’étranger. Un député du Rassemblement national démocratique (RND), parti satellite du pouvoir, a ravivé un vieux projet qui semblait oublié dans les tiroirs du ministère de la Justice , priver de leur nationalité les citoyens accusés de « comploter depuis l’étranger » contre les intérêts de l’État.
Une initiative qui, au-delà de sa portée symbolique, soulève des questions de fond sur la relation ambiguë qu’entretient le régime algérien avec sa diaspora.
Un projet de loi qui refait surface
Le 15 octobre, Hichem Sifer, député du RND et ancien président de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée populaire nationale, a déposé une proposition visant à amender la loi de décembre 1970 sur la nationalité.
Objectif affiché , permettre à l’État de retirer la nationalité à tout Algérien accusé d’avoir porté « de graves préjudices aux intérêts du pays », en particulier ceux qui, selon le texte, « conspirent depuis l’étranger contre l’unité nationale, les valeurs et les symboles de l’État ».
L’élu s’aligne ainsi sur le discours du président Abdelmadjid Tebboune, qui n’a cessé, depuis son arrivée au pouvoir, de dénoncer les « ennemis de l’intérieur et de l’extérieur » accusés d’instrumentaliser les réseaux sociaux pour « déstabiliser la nation ».
Mais derrière cette rhétorique, le projet prend des allures de retour au passé , celui d’un pouvoir obsédé par la loyauté et la peur du dissident.
La diaspora dans le viseur
La mesure viserait en priorité les opposants installés en Europe, en particulier en France, en Suisse ou au Royaume-Uni, souvent actifs sur les réseaux sociaux ou dans les médias indépendants.
Ces voix critiques, issues du Hirak ou de la société civile, sont régulièrement qualifiées de « traîtres » ou d’« agents de l’étranger » par les autorités.
En d’autres termes, la loi semble taillée sur mesure pour museler une diaspora devenue un acteur politique à part entière, capable de relayer à l’international les défaillances du régime.
Or, cette diaspora représente également une ressource économique et humaine majeure , selon la Banque mondiale, les transferts des Algériens à l’étranger dépassent les deux milliards de dollars par an. En s’aliénant cette communauté, le pouvoir prend le risque de couper un lien vital à la fois symbolique et financier.
Un précédent controversé
Ce n’est pas la première fois que la question refait surface. En mars 2021, le gouvernement Tebboune avait déjà envisagé une réforme similaire avant de faire machine arrière sous la pression de l’opinion publique et des juristes.
À l’époque, plusieurs constitutionnalistes avaient dénoncé une mesure « contraire aux principes fondamentaux du droit algérien » et incompatible avec la Constitution, qui garantit le droit à la nationalité et interdit toute forme d’apatridie.
Le projet de loi actuel, bien que présenté comme une simple « proposition parlementaire », relance donc un débat plus large , celui de la criminalisation de la dissidence politique sous couvert de défense de la souveraineté nationale.
Une manœuvre politique avant 2026 ?
Pour de nombreux observateurs, cette initiative s’inscrit dans un contexte politique tendu à l’approche de l’élection présidentielle de 2026.
Face à une popularité en berne et à une défiance persistante dans la jeunesse, le pouvoir semble chercher un nouvel ennemi intérieur à désigner , l’opposant exilé.
En d’autres termes, la déchéance de nationalité devient une arme de diversion, un outil de cohésion autoritaire qui remplace le débat politique par la peur du bannissement.
Le patriotisme sous contrôle
Le projet de loi du député Sifer, s’il venait à être adopté, marquerait une étape supplémentaire dans la dérive sécuritaire du régime algérien.
Il traduit moins une préoccupation juridique qu’une volonté politique de contrôle , celle d’un État qui confond la critique avec la trahison, et la loyauté avec le silence.
Dans un pays où la citoyenneté reste souvent conditionnelle, la nationalité devient, paradoxalement, un privilège à retirer plutôt qu’un droit à protéger.