Violences conjugales : le silence ne protège pas les victimes, il protège les coupables
Bouchaib El Bazi
C’est une phrase que l’on répète souvent, presque comme un slogan , « Le silence ne protège pas les victimes, il protège les coupables. » Mais derrière ces mots se cache une réalité tragiquement concrète. Chaque jour, des femmes – et parfois des hommes – subissent en silence des violences physiques, psychologiques ou économiques au sein même de ce qui devrait être un lieu de sécurité , le foyer.
Et si la société commence, timidement, à briser le tabou, le silence reste encore le premier complice des bourreaux.
Un phénomène massif, encore sous-déclaré
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon les dernières données du ministère de l’Intérieur français, plus de 244 000 femmes ont déclaré avoir subi des violences conjugales en 2024. Un chiffre déjà effarant, mais qui ne représente qu’une partie visible de l’iceberg, puisque nombre de victimes ne portent jamais plainte, prisonnières de la peur, de la dépendance économique ou du sentiment de honte.
Le cycle de la violence conjugale est souvent invisible , il commence par la parole blessante, se poursuit par le contrôle, l’humiliation, l’isolement, avant de se transformer en coups, en menaces, voire en meurtre.
Chaque silence, chaque renoncement à parler, alimente ce cycle infernal.
Le poids de la honte et la tyrannie du doute
Pourquoi tant de victimes se taisent-elles ? Parce que la société, encore aujourd’hui, doute d’elles.
Parce que la victime doit prouver qu’elle n’exagère pas, qu’elle n’a pas « cherché », qu’elle n’est pas « hystérique ».
Ce renversement de la culpabilité est l’un des mécanismes les plus cruels du système patriarcal , il réduit la victime au silence et offre à l’agresseur une confortable invisibilité.
Combien de fois a-t-on entendu , « Ce sont des histoires de couple, ça ne nous regarde pas. »
Mais le privé, quand il devient le théâtre de la violence, devient une affaire publique. L’amour n’autorise pas la souffrance, le mariage n’est pas une prison, et la maison ne doit jamais être un lieu de peur.
La loi avance, la société hésite
Certes, la France a renforcé son arsenal législatif , création du téléphone « grave danger », ordonnances de protection, bracelets anti-rapprochement… Des outils existent, mais leur mise en œuvre reste inégale.
Trop souvent, les plaintes sont classées sans suite, les victimes renvoyées à leur solitude, les agresseurs peu inquiétés. Ce n’est pas une question de textes, mais de volonté collective.
Les associations de terrain tirent la sonnette d’alarme , la formation des policiers, magistrats et travailleurs sociaux demeure inégale ; les foyers d’accueil sont saturés ; les budgets restent insuffisants.
Parler, c’est déjà se libérer
Briser le silence, ce n’est pas seulement dénoncer un coupable. C’est reconquérir sa dignité. C’est refuser d’être définie par la peur. C’est redonner du sens au mot « justice ».
Chaque témoignage compte, chaque plainte déposée ouvre la voie à d’autres paroles. Et chaque oreille qui écoute sans juger devient un acte de résistance.
La société tout entière a un rôle à jouer : amis, voisins, collègues, institutions. Car se taire, c’est laisser faire.
la responsabilité du regard
Le combat contre les violences conjugales n’est pas celui des seules victimes. C’est celui d’une société tout entière qui choisit entre le confort du silence et le courage de la parole.
Tant que les coups seront tus, ils continueront à tomber. Et tant que les cris resteront étouffés derrière des murs, les coupables dormiront tranquilles.
Le silence ne protège pas. Il tue à petit feu.