Chômage en sursis : quand la Belgique réforme… la dignité humaine

Par Bouchaib El Bazi

Mercredi 29 octobre, les syndicats belges ont décidé de monter une nouvelle barricade — non pas devant le Parlement, mais devant la Cour constitutionnelle. Le front commun syndical (CSC, FGTB, CGSLB), soutenu par une ribambelle d’organisations de la société civile — Ligue des droits humains, Ligue des familles, BAPN, Vie Féminine, Soralia — a déposé une requête en annulation et en suspension contre la réforme du chômage.

Motif , cette réforme « temporaire » serait en réalité une attaque permanente contre la sécurité sociale.

Autrement dit , la solidarité, oui, mais avec date de péremption. Une réforme “Arizona” sous climat désertique.

Le gouvernement dit Arizona a-t-il voulu s’inspirer du climat de cet État américain ? Tout semble l’indiquer , chaleur sèche pour les allocataires, sécheresse des moyens pour les plus fragiles.

Derrière la technicité administrative se cache une équation simple , moins tu gagnes, plus tu dégages.Les mesures transitoires introduisent une limitation dans le temps des allocations de chômage. Six mois, pas un jour de plus, pour retrouver du travail. Après quoi, la dignité se retrouvera, elle aussi, en fin de droits.

« Une offensive sans précédent contre l’un des socles de la sécurité sociale », dénoncent les syndicats. On les comprend , c’est comme si l’on retirait les fondations d’une maison, au motif qu’elles coûtent trop cher à entretenir.

L’égalité selon la Constitution (et selon l’économie)

Les plaignants invoquent l’article 23 de la Constitution, celui qui garantit à chacun le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. Mais apparemment, certains ont lu cet article en diagonale. Ou alors, ils ont préféré le remplacer par une version budgétairement optimisée .

« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité… tant que ça ne coûte pas trop. »

Les articles 10 et 11, consacrant l’égalité et la non-discrimination, risquent eux aussi de passer à la trappe. Car dans cette nouvelle Belgique de l’efficacité comptable, on distingue désormais deux catégories de citoyens :

– ceux qui ont un emploi, donc une utilité ;

– et ceux qui n’en ont pas, donc un coût.

La réforme ne prévoit ni accompagnement crédible, ni responsabilisation réelle des employeurs. Un détail, sans doute. Après tout, il est plus simple d’accuser le chômeur de paresse que d’accuser le marché du travail de dysfonctionnement.

Le cynisme comme politique de l’emploi

Sous couvert de “réactivation”, le gouvernement propose surtout une désactivation sociale. Les personnes les plus éloignées de l’emploi — souvent les moins qualifiées, les plus âgées, ou les femmes seules — seront les premières exclues.

En clair , on leur retire le filet de sécurité, puis on les invite à nager.

Dans un pays où la paperasserie administrative se gère plus vite qu’un emploi stable ne se trouve, six mois, c’est le temps qu’il faut pour comprendre comment remplir le formulaire d’allocation.

Mais rassurez-vous , le gouvernement promet de “réévaluer” les effets de la réforme… une fois qu’elle aura fait ses dégâts.

La Belgique, ce laboratoire du libéralisme tempéré

Ce qui se joue ici dépasse la simple querelle syndicale. C’est une bataille pour la définition même du mot solidarité. La Belgique a longtemps été citée en exemple pour son modèle social généreux, fruit d’un compromis historique entre capital et travail.

Mais à force de compromis, il ne reste parfois que le compromis moral : on garde les mots, on supprime les moyens. Le pays de la bière et des frites risque de devenir celui du contrat précaire et de la dignité rationnée.

la réforme du bon sens… sans le sens

Dans le fond, cette réforme ne fait qu’entériner une logique déjà bien installée , la pauvreté devient une faute individuelle, la précarité un manque d’effort.

Et quand le citoyen tombe, l’État lui répond désormais , “Relève-toi, c’est bon pour ton autonomie.” Les syndicats, eux, n’ont pas dit leur dernier mot. La Cour constitutionnelle est saisie, et le débat public relancé.

Mais pendant ce temps, des milliers de Belges comptent les jours avant la fin de leurs allocations. Et certains se demandent, non sans amertume

“Combien de temps me reste-t-il avant que ma dignité, elle aussi, devienne temporaire ?”

 

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