Après la résolution 2797 : la Tunisie face à ses frontières oubliées avec l’Algérie
Bouchaib El Bazi
L’ancien diplomate tunisien Elyes Kasri appelle à “suivre l’exemple du Maroc” pour récupérer les territoires confisqués par l’Algérie coloniale
Quelques jours après l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies de la résolution 2797 consacrant la souveraineté marocaine sur le Sahara, la secousse diplomatique n’a pas seulement résonné à Rabat ou à Alger. À Tunis, elle a réveillé un débat longtemps enfoui dans la mémoire nationale : celui des territoires tunisiens amputés par la France au profit de l’Algérie.
C’est le diplomate et analyste politique Elyes Kasri, ancien ambassadeur de Tunisie en Allemagne, en Inde, au Japon et en Corée du Sud, qui a rouvert le dossier avec un ton sans détour. Dans une série de publications très partagées sur les réseaux sociaux, il appelle les Tunisiens à “tirer les leçons du Maroc” et à revendiquer les quelque 20 000 km² de terres riches en hydrocarbures et en eau que la France a attribuées à l’Algérie coloniale avant 1962.
Du Sahara marocain au “Grand Erg oriental” : l’écho d’une même injustice
Pour Elyes Kasri, la résolution 2797 marque non seulement la fin de “la fiction de la république sahraouie”, mais aussi le début d’un nouvel éveil géopolitique au Maghreb.
« La communauté internationale reconnaît aujourd’hui la souveraineté d’un État sur un territoire qu’une puissance coloniale lui avait confisqué. Pourquoi la Tunisie, victime du même procédé, devrait-elle se taire ? », interroge-t-il.
L’ancien diplomate rappelle que le “Grand Erg oriental”, région désertique riche en ressources naturelles, fut détaché de la Tunisie sous protectorat français et intégré à l’Algérie française. À l’indépendance, en 1962, cette bande de 20 000 km² — soit une superficie supérieure à celle du Koweït — est restée du côté algérien, en violation d’un engagement pris par le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) de rouvrir la question des frontières “entre frères”.
Une blessure historique et un silence diplomatique
Sous la présidence de Habib Bourguiba, la question frontalière avait été qualifiée de “priorité nationale”. En janvier 1964, un accord signé au Caire avec Ahmed Ben Bella prévoyait le rétrocession du territoire tunisien. Mais cet engagement n’a jamais été respecté.
L’arrivée de Houari Boumédiène au pouvoir, puis la dépendance économique de Tunis à l’égard d’Alger, ont peu à peu enterré le dossier.
Depuis lors, la Tunisie a choisi une politique du silence, préférant le pragmatisme à la confrontation. Un silence que Kasri juge “coupable” :
“Ceux qui crient ‘Khawa Khawa’ (frères pour toujours) devraient se souvenir que la soi-disant grande sœur leur a pris 20 000 km² de territoire et une partie de leur souveraineté.”
Une leçon de géopolitique marocaine
La réussite diplomatique du Maroc, selon Kasri, repose sur une stratégie de continuité et de fermeté : un patient travail politique et juridique qui a fini par convaincre la communauté internationale du bien-fondé de sa souveraineté sur le Sahara.
La Tunisie, elle, n’a jamais osé rouvrir la question de ses frontières orientales, de peur d’irriter Alger.
Kasri déplore cette attitude :
“Tant que nous ne récupérerons pas nos terres et nos ressources, parler de souveraineté totale est une illusion. Le pétrole et le gaz que l’on nous vend au compte-gouttes sont extraits de nos propres sous-sols.”
Le poids de la morale et de l’histoire
Pour l’ancien ambassadeur, la question ne se limite plus à un différend frontalier. Elle touche à la légitimité morale de l’État tunisien et à la mémoire de son peuple.
En conservant des territoires “offerts” par la France, estime-t-il, l’Algérie commet une faute éthique, prolongeant symboliquement le crime colonial.
“Continuer à défendre des frontières tracées à la règle par l’occupant est une trahison de l’histoire. C’est refuser à la fois la vérité et la justice.”
Il accuse par ailleurs le régime algérien d’avoir bâti sa légitimité sur deux causes extérieures — la Palestine et le Sahara — pour mieux détourner l’attention de ses propres contradictions internes.
Vers une recomposition maghrébine ?
La prise de position d’Elyes Kasri, bien que minoritaire dans la diplomatie tunisienne, résonne dans une région en pleine recomposition.
L’effritement de la rhétorique algérienne sur le Sahara, la montée en puissance du Maroc sur la scène africaine et l’éveil de certaines élites tunisiennes à la question frontalière annoncent un tournant symbolique dans les rapports maghrébins.
Kasri en est convaincu :
“L’histoire finit toujours par rétablir la vérité. Les peuples finissent toujours par reprendre leur fleuve là où il a été détourné.”
la fin des mythes et le retour des réalités
Le message est limpide , la Tunisie doit sortir de l’amnésie géopolitique.
À la lumière du précédent marocain, la question des frontières héritées de la colonisation pourrait revenir au cœur du débat maghrébin.
Et si, après la chute du mythe du “Sahara occidental”, venait le temps de l’examen des territoires oubliés du Maghreb ?