À l’heure où les diplomates changent de poste au rythme des crises, certains semblent avoir trouvé la formule magique pour défier le temps.
À Bruxelles, Mohamed Ameur, ambassadeur du Maroc en Belgique depuis 2016, incarne à merveille cette espèce rare , celle des diplomates enracinés, qu’on ne déplace plus, par habitude ou par oubli.
Neuf ans de mission ininterrompue. Dans le monde feutré des ambassades, c’est presque une éternité. La durée moyenne d’un mandat d’ambassadeur marocain varie entre quatre et cinq ans, parfois prolongée de deux ans supplémentaires — mais M. Ameur, lui, semble avoir obtenu un CDI diplomatique.
Un ambassadeur devenu institution
À force de rester, il est devenu plus bruxellois que le Manneken-Pis.
Dans les couloirs de la représentation marocaine, certains plaisantent : « On ne dit plus l’Ambassade du Maroc à Bruxelles, on dit la maison Ameur. »
Depuis son arrivée, deux ministres des Affaires étrangères se sont succédé à Rabat, plusieurs gouvernements ont changé, les priorités diplomatiques ont évolué — mais le poste de Bruxelles, lui, n’a pas bougé d’un millimètre.
Même les nouveaux attachés, paraît-il, sont accueillis comme dans un musée : “Ici, tout est d’époque, même l’ambassadeur.”
L’art du temps suspendu
Officiellement, la diplomatie marocaine ne fixe pas de limite rigide à la durée d’un mandat. Officieusement, cinq ans constituent la norme.
Mais Ameur semble incarner une autre philosophie : celle du temps diplomatique suspendu, où la rotation des postes devient optionnelle et où la stabilité se confond avec l’immobilisme élégant.
Certains observateurs y voient une preuve de « confiance royale », d’autres, plus cyniques, une simple négligence administrative raffinée.
Un ambassadeur pour l’éternité
En neuf ans, M. Ameur a connu toutes les saisons de la relation maroco-belge , les coopérations fructueuses, les tensions sur la question migratoire, les dossiers sécuritaires sensibles…
Mais à force de durer, son mandat interroge.
Peut-on représenter un pays sans se renouveler ?
Peut-on incarner le mouvement d’un royaume en constante transformation en restant figé sur la même chaise depuis près d’une décennie ?
Un diplomate européen glisse, mi-figue mi-raisin :
« À Bruxelles, on a les institutions les plus stables du monde. Il fallait bien un ambassadeur à leur image. »
La Belgique, terre de prolongations
Le cas Ameur n’est pas isolé. D’autres ambassadeurs marocains en Europe semblent, eux aussi, avoir trouvé dans la longévité une forme de stratégie.
Mais Bruxelles est un cas d’école , une capitale où l’on prolonge tout — les mandats politiques, les négociations européennes, et maintenant… les missions diplomatiques.
L’avis de Bouchâib El Bazi : la diplomatie à l’épreuve du calendrier
Le journaliste Bouchâib El Bazi, connu pour son ironie mordante, commente ainsi le phénomène :
« Mohamed Ameur ne représente pas seulement le Maroc à Bruxelles. Il représente une philosophie : celle d’un temps diplomatique circulaire, où les années tournent en rond autour du même fauteuil. »
Et d’ajouter :
« Il a atteint un niveau de stabilité tel qu’on devrait peut-être rebaptiser son poste ambassadeur permanent à durée indéterminée. À ce rythme-là, ce n’est plus un mandat, c’est une résidence secondaire d’État. »

Quand la stabilité devient un art
Bien sûr, nul ne conteste la compétence ni l’expérience de Mohamed Ameur. Il a contribué à renforcer le dialogue bilatéral, à défendre les intérêts du Maroc et à maintenir le lien avec la diaspora.
Mais dans un monde diplomatique où l’agilité et la rotation sont devenues essentielles, son cas pose une question délicate .
La stabilité est-elle toujours une vertu, ou devient-elle parfois une habitude trop confortable ?
À Bruxelles, en tout cas, le temps ne semble pas presser.
Et si d’aventure quelqu’un à Rabat décidait de rappeler M. Ameur, il faudrait sans doute prévenir à l’avance — histoire qu’il ait le temps de dire adieu à son bureau… et peut-être de faire ses cartons, enfin.