Algérie : quand le Croissant-Rouge vire au noir — ou comment l’humanitaire devient un business d’État

Bouchaib El Bazi

Trafic, favoritisme et séduction politique , le scandale Ibtissem Hamlaoui expose le cœur d’un système où la charité a un goût d’argent.

Il fut un temps où le Croissant-Rouge symbolisait la solidarité, la compassion et le secours aux plus démunis. En Algérie, il est désormais le reflet d’un autre visage , celui d’un humanitaire d’apparat, au service des ambitions personnelles et des réseaux d’influence. À sa tête, une femme , Ibtissem Hamlaoui, technocrate pressée, mondaine assumée, et selon certains, muse officieuse du pouvoir présidentiel.

Le 11 juillet 2023, une opération sécuritaire jette une lumière crue sur cette organisation supposément vertueuse. Plusieurs individus sont arrêtés pour avoir exploité le nom du Croissant-Rouge algérien (CRA) dans un trafic d’importations frauduleuses. Les premiers communiqués officiels parlent d’un “réseau criminel se faisant passer pour le CRA”. Problème , l’enquête révèle que le réseau ne se faisait pas passer pour le Croissant-Rouge — il en faisait partie intégrante.

Des aides européennes transformées en huile moteur

Sous couvert d’« aide humanitaire », les protagonistes importaient de tout — sauf de la compassion , pièces automobiles, huiles mécaniques, et autres produits commerciaux. Les cargaisons bénéficiaient des exonérations douanières réservées aux missions humanitaires. Une aubaine dans un pays où la frontière entre l’État et le profit personnel est aussi fine qu’un formulaire tamponné.

Huit personnes sont interpellées, dont Ratiba Achour, directrice de la coopération extérieure du CRA. Une fausse usurpatrice, mais une vraie cadre. Elle aurait signé les documents officiels sur ordre direct de la présidente Hamlaoui. Deux employés du Haut-Commissariat pour les réfugiés sahraouis figurent aussi sur la liste, preuve que la solidarité maghrébine sait se serrer les coudes… surtout autour des caisses.

Quant au mari de Mme Achour, gérant d’un bureau de fret international, il a choisi la voie la plus classique de l’entrepreneuriat algérien , la fuite.

Quand l’aide européenne finance la débrouille locale

Les révélations deviennent plus embarrassantes encore. Une partie des aides humanitaires de l’Union européenne, censées nourrir les réfugiés sahraouis de Tindouf, a été détournée. Les vivres et médicaments financés par Bruxelles ont mystérieusement disparu des entrepôts pour réapparaître sur les marchés algériens — parfois même réexportés vers l’Afrique subsaharienne.

Tout le monde savait, personne ne disait rien. À Bruxelles, on préfère parler de “déficit de contrôle indépendant” plutôt que de complicité passive. Après tout, mieux vaut détourner le regard que les camions.

Hamlaoui, la “femme forte” du régime Tebboune

Peu connue il y a encore quelques années, Ibtissem Hamlaoui a gravi les échelons à la vitesse d’un décret présidentiel. Présentée comme une technocrate efficace, elle s’est imposée dans les cercles de pouvoir grâce à un mélange de charme, de loyauté et — selon les mauvaises langues — de proximité stratégique avec la famille Tebboune, père ou fils, selon les versions.

En coulisses, certains la décrivent comme “intouchable”. D’autres évoquent sa maîtrise d’un art très algérien , celui de posséder des “dossiers sensibles” sur les bons interlocuteurs. En somme, elle ne rend pas des comptes , elle en garde.

Le Croissant-Rouge, ou l’art d’être utile aux puissants

Sous Hamlaoui, le Croissant-Rouge algérien s’est transformé en une sorte de ministère parallèle de l’influence, gérant autant la logistique humanitaire que les relations publiques du régime. On y pratique la solidarité sélective , généreux envers les amis, intraitable envers les gêneurs.

Les aides destinées aux réfugiés sahraouis du Polisario, quant à elles, semblent avoir trouvé de nouveaux bénéficiaires — Bouhbeini Yahia et Brahim Ghali, toujours prompts à tendre la main, mais rarement pour la serrer.

Une morale inversée

Le “scandale Hamlaoui” résume toute une époque , celle d’un pouvoir qui s’achète la vertu à coups de sigles humanitaires, d’un État où la lutte contre la corruption sert surtout à punir ceux qui ont oublié de partager le butin. Pendant que des journalistes ou de simples internautes croupissent en prison pour une phrase sur Facebook, les vrais réseaux, eux, continuent de siroter leur thé à la menthe dans les salons feutrés d’Alger.

Le rouge du Croissant n’est plus celui de la solidarité

Le Croissant-Rouge algérien aurait dû être un symbole d’unité nationale. Il est devenu une caricature , celle d’une institution transformée en entreprise d’État, dirigée par des stratèges de la connivence et du calcul politique.

Dans l’Algérie du président Abdelmadjid Tebboune, la charité ne se fait plus en silence , elle s’affiche, s’instrumentalise et se rentabilise.

Et pendant que l’Europe s’indigne mollement, le régime, lui, perfectionne un modèle unique au monde , celui du “humanitaire à rendement garanti”, où chaque sac de riz peut nourrir une ambition, chaque cargaison peut financer une fidélité, et chaque présidente peut devenir… une légende d’État.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.